La présence militaire britannique au Kenya et les nombreux terrains appartenant à la famille royale du Royaume-Uni montrent que Londres "n’a jamais cherché à mettre fin à l'héritage colonial au Kenya", a déclaré à Sputnik Afrique Macharia Munene, professeur d'histoire et de relations internationales à l'université internationale américaine de Nairobi.
"Le Royaume-Uni n'est jamais vraiment parti parce qu'il a beaucoup d'investissements [...]. La famille royale possède beaucoup de terres au Kenya et d'autres propriétés, des réserves naturelles, et les gens ont un faible pour les choses britanniques. L'armée britannique s'entraîne au Kenya, au BATUK [British Army Training Unit Kenya, ndlr], dans les régions de Marsabit, Isiolo et Laikipia", a-t-elle indiqué à la veille de l’arrivée du roi Charles III du Royaume-Uni et de son épouse Camilla.
En ce qui concerne l'armée, sa présence provoque des tensions entre Londres et Nairobi parce que les soldats britanniques laissent des munitions non désamorcées derrière eux, qui explosent ensuite à un moment inopportun, a rappelé Mme Munene.
Une relation cordiale, malgré le néocolonialisme
Malgré cela, Mme Munene estime que le Kenya n'a pas d'animosité envers les Britanniques en tant que tels, sauf lorsque le Royaume-Uni s'immisce dans la politique de Nairobi et tente d'imposer sa façon de faire.
"Parfois, [les Kényans] ne sont pas d'accord. Mais […] le néocolonialisme est une réalité de longue date au Kenya", a-t-elle expliqué.
Un passé sombre
Parlant des relations entre Nairobi et Londres, l'analyste kényane a également rappelé les "événements traumatisants" de 1952-1960, la révolte des Mau-Mau (mouvement insurrectionnel du Kenya) contre le gouvernement colonial britannique.
Pour elle, les Kényans se souviennent encore de ces événements tragiques, tout comme du massacre de Hola commis par les forces coloniales britanniques en 1959, qui ont arrêté six nationalistes kényans de premier plan (les six de Kapenguria).
"Mais on se souvient de tout cet épisode comme d'une lutte pour l'indépendance du Kenya contre les Britanniques."
De même, il existe aujourd'hui au Kenya des milliers de familles qui racontent de façon similaire les événements tragiques de la révolte des Mau-Mau, a confié Mme Munene. Avant d'ajouter que le Kenya post-colonial avait longtemps tenté de minimiser ce mouvement "afin de se conformer à la pensée britannique officielle", une situation qui n'a commencé à changer qu'au cours des dernières années.
Une visite sentimentale du roi Charles III, mais pas seulement...
Commentant la prochaine visite du roi Charles III au Kenya, l'expert a fait remarquer que son objectif n'était pas de présenter des excuses au peuple kényan.
"Charles vient pour une raison sentimentale. Il ne vient pas ici pour s'excuser. Il pourrait dire: ‘Oui, nous avons commis des erreurs ici et là. Et oui, nous avons battu quelques personnes ici et là’, mais l'essence de sa visite n'est pas de présenter des excuses", a fait remarquer Mme Munene.
Entretemps, la professeur pense que la visite pourrait soulever la question de la restitution au Kenya des documents d'archives et des objets emportés par les Britanniques.
"Il y a eu des objets, dont certains étaient des sanctuaires et des objets de valeur pour certains peuples du Kenya, et ils ont été emportés. Certains d'entre eux se trouvent dans divers musées, comme le musée Pitt Rivers d’Oxford, qui détiendrait un certain nombre d'objets. Il y a donc un débat".
Pouvez-vous nous rendre ces objets? Ils représentent plus pour notre peuple que pour vous", a plaidé Mme Munene.
Que pensent les Kényans de cette visite?
Selon la professeur, l'opinion publique kényane est "mitigée" quant à la visite du monarque, et "il n'y a pas d'attachement émotionnel important". Elle a également qualifié l'événement d'"amusant" pour les gens ordinaires.
"Bien qu'officiellement la colonisation britannique ait pris fin en 1963-1964, les institutions et leurs héritages, les attachements sont restés au niveau personnel et également comme une source d'intérêt pour un certain nombre de personnes, mais pas pour beaucoup d'entre elles."
Des excuses publiques et des réparations
Le 29 octobre, la Commission kényane des droits de l'homme avait demandé au roi Charles III de présenter des "excuses claires et publiques" et de payer des réparations pour les abus commis par les autorités coloniales.
D'autant plus qu'il y a dix ans, le gouvernement britannique avait reconnu que l'administration coloniale avait eu recours à la torture au Kenya et a accepté d'indemniser les victimes.
Au cours de l'été 2022, un groupe de Kényans avait poursuivi le Royaume-Uni devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), demandant 200 milliards de dollars de compensation pour les préjudices que leurs ancêtres et eux-mêmes avaient subis sous la domination coloniale. Les plaignants affirment que les membres des leurs communautés ont été expulsés de leurs terres à la fin du XIXe siècle, qui ont ensuite été cédées à des sociétés de thé.
Le 11 octobre, le palais de Buckingham avait annoncé la prochaine visite de Charles III au Kenya, précisant que le monarque accorderait l'attention nécessaire aux "aspects les plus douloureux" de l'histoire commune du Royaume-Uni et du Kenya, notamment la réponse à la rébellion anticoloniale des Mau-Mau. Cette visite de quatre jours au Kenya, qui débute le 31 octobre, est la première visite du roi dans un pays du Commonwealth depuis son couronnement.