Patrice Lumumba "voyait dans le Congo un pays capable de relever les défis de l'Histoire"

Le premier Premier ministre de l'actuelle RDC, Patrice Lumumba, a été tué il y a 62 ans. À l'occasion de l'anniversaire de son assassinat, une historienne russe revient sur les acquis et les idées du héros de l'indépendance congolaise, toujours vénéré dans son pays.
Sputnik
Le 17 janvier 1961 est le jour de la mort violente de Patrice Lumumba, premier Premier ministre de l’actuelle République démocratique du Congo, appelée République du Congo de 1960 à 1961. Il n'a été au pouvoir que quelques mois et critiquait virulemment les autorités coloniales belges, avant d'être assassiné.
Interrogée par Sputnik, l'historienne russe, professeur de l'Université de l'amitié des peuples (RUDN), Lioudmila Ponomarenko, qui a consacré plusieurs livres à Patrice Lumumba, fait ressortir que le dirigeant du premier État national congolais a tout fait par lui-même. Né dans une modeste famille de fermiers, il s'est fait une place dans l'histoire de l'Afrique.
Malgré son jeune âge, il a réussi à créer le parti politique le plus populaire de son pays, le Mouvement national congolais (MNC), dans une colonie belge, un immense pays dont la superficie est équivalente à l'Europe occidentale!
"Son parti se distinguait d'une centaine d'autres par le fait qu'il a été créé sur une base nationale. Alors que les autres étaient formées essentiellement selon le principe ethnique et défendaient les intérêts d'ethnies isolées et non pas du peuple entier."

Un discours marquant

Une table ronde réunissant les principaux représentants de l'opinion congolaise a eu lieu à Bruxelles en janvier 1960, et le gouvernement belge a accordé au Congo l'indépendance, fixée au 30 juin 1960. Ce jour-là, Lumumba a prononcé un discours marquant.
"Il a dit entre autres que l'indépendance n'avait pas simplement été donnée à son pays par la Belgique mais acquise au prix de la vie de nombreux Congolais", expose Mme Ponomarenko. Et ce ne sont pas des paroles creuses, selon elle, car le colonialisme belge était plus sévère que celui des Français et des Britanniques.
Dans son livre Le Congo, terre d'avenir, est-il menacé? Patrice Lumumba a exposé l'histoire de son pays, y compris la dure période du colonialisme belge. Outre le français, il maîtrisait une multitude de langues locales. Bien qu'homme politique, il était plutôt crédule voire parfois naïf; il aimait les gens simples et savait pardonner, énumère la spécialiste.

Son assassinat

"Après la Seconde Guerre mondiale, l'URSS soutenait énergiquement les mouvements de libération nationale en Afrique, alors que les États-Unis, au contraire, étaient un ennemi de ce phénomène. L'URSS a évidemment soutenu le premier gouvernement indépendant mené par Patrice Lumumba."
Le Premier ministre a tout de suite lancé une politique indépendante, ce qui déplaisait à l'Occident, explique l'historienne.
"Le Président américain Dwight Eisenhower disait que M.Lumumba devait être jeté dans le fleuve Congo pour qu'il soit mangé par les crocodiles! Et l'Occident s'est mis à lutter contre Lumumba."
D'ailleurs, on lui a d'abord proposé un marché. Il devait offrir à l'Occident un accès aux richesses souterraines du Congo, pays richissime en ressources minières. Lui, au contraire, voulait que le peuple puisse profiter des richesses de son pays. Il aspirait à une éducation et une médecine gratuite pour les habitants. Mais l'Occident "ne voulait que les richesses du Congo".
Patrice Lumumba et son gouvernement ont fait l'objet d'une persécution. Il a dû s'adresser à l'Onu, mais les Casques bleus ont de fait soutenu les marionnettes des Belges. Lumumba a été arrêté et emprisonné, puis torturé en cachette. Il a été jeté en pâture à son ennemi juré, l'homme d'État Moïse Tshombé, précise l'historienne. Il a été tué, son corps démembré et dissous dans l'acide.
Les détails de cet assassinat n'ont été élucidés que des années plus tard, lors d'une enquête lancée en 2016 par le parquet fédéral belge. Une dent couronnée d'or a été saisie dans le cadre de cette enquête. Le commissaire de police belge Gérard Soete, qui avait supervisé et participé à la destruction des restes, a pris la dent en trophée. En juin 2022, Bruxelles l'a restituée à la République démocratique du Congo (RDC). Ce fragment de dépouille du héros a rejoint le mémorial qui lui est dédié à Kinshasa.

Des idées toujours d'actualité

"L'histoire dira un jour son mot,mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches." C'est l'une des citations les plus connues de Patrice Lumumba.
Pour Lioudmila Ponomarenko, les idées de Lumumba n'ont pas perdu leur actualité. "Il voyait dans le Congo un pays libre, capable de relever les défis de l'Histoire."
Selon elle, peu de choses ont changé depuis l'époque de Lumumba. Et ce, à cause de la longue présence au pouvoir de fantoches de l'Occident. Le pays détenteur de richesses naturelles fait toujours face à la famine et la pauvreté. Mais des progrès sont visibles, pense la chercheuse. Une fille de Patrice Lumumba travaille actuellement dans les structures étatiques. Son pays ne l'oublie pas, se félicite-t-elle.
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