Macron en Algérie: entre gaz et visas, une visite lourde d’enjeux
Au cours de son déplacement en Algérie qui débute ce jeudi, Emmanuel Macron abordera avec le Président Tebboune le conflit "en Ukraine et son impact sur la sécurité énergétique de l’Europe, le gaz algérien et la sécurité au Sahel", affirme à Sputnik Riadh Sidaoui, directeur du CARAPS à Genève.
SputnikSur fond d’une crise diplomatique qui dure depuis plusieurs mois en l’Algérie et la France, Emmanuel Macron se rendra du 25 au 27 août à Alger, à l’invitation de son homologue Abdelmadjid Tebboune, a annoncé l’Élysée samedi 20 août. La visite est destinée à relancer le partenariat entre les deux pays, indique la même source.
"Ce déplacement contribuera à approfondir la relation bilatérale tournée vers l’avenir, […] à renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux et à poursuivre le travail d’apaisement des mémoires", précise l’Élysée.
Dans un entretien à Sputnik, Riadh Sidaoui, politologue et directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS) à Genève, explique qu’au-delà des questions relatives à la mémoire, aux visas et au conflit au Sahara occidental, la visite du chef de l’État français est lourde d'enjeux géostratégiques.
"La guerre en Ukraine et le gaz algérien"
"Certainement, seront présentes sur la table des discussions sur la question de la guerre en Ukraine et son impact sur la sécurité énergétique de l’Europe, le gaz algérien notamment à l’aune de la signature de l’accord sur le gazoduc reliant le Nigeria à l’Algérie en passant par le Niger", explique M.Sidaoui. Et d’ajouter: "la sécurité et la lutte antiterroriste au Sahel, dans le contexte de la fin de l’opération Barkhane au Mali, qui s’est tourné vers la Russie, et le redéploiement des forces françaises à Niamey, au Niger".
Dans le même sens, l’expert affirme que "l’Algérie revendiquera haut et fort sa souveraineté politique et continuera certainement dans la même logique diplomatique d’équilibre et d’équidistance par rapport à toutes les parties en conflit en Ukraine, mais tout en préservant sa liberté d’entretenir ses relations d’allié stratégique de la Russie, notamment en matière de coopération technico-militaire. À ce propos, il faut rappeler que l’Algérie considère que la sécurité est une et indivisible à l’échelle mondiale et comprend ainsi parfaitement la position de la Russie quant aux impératifs de sa sécurité nationale".
Par ailleurs, M.Sidaoui affirme que "le Président français devra expliquer aux autorités algériennes le choix du redéploiement des forces de l’opération Barkhane au Niger et donner des garanties qu’elles seront un facteur de renforcement de la sécurité, de la stabilité et de la lutte antiterroriste, étant donné que le tracé du gazoduc Nigeria-Algérie passe par le Niger, à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, Niamey. Il faut rappeler qu’une bonne partie du gaz qui sera fourni par ce pipeline servira à alimenter le marché européen, où la concurrence ne cesse d’augmenter entre les principaux partenaires de l’Algérie: l’Italie, l’Espagne et la France. À ce titre, Macron devrait être clair sur la question du paiement de rançons aux groupes terroristes et sur la remise en liberté de djihadistes dans le cadre d’accords pour libérer des otages".
Le gaz en contrepartie d’investissements dans la prospection?
Concernant les gisements de gaz algérien dans le sud du pays, Riadh Sidaoui rappelle qu’aujourd’hui, "ni l’Algérie ni aucun autre pays ne peut remplacer le gaz que la Russie fournit à l’Europe. Donc le seul moyen pour faire en sorte que l’Algérie puisse augmenter ses exportations en gaz vers l’Europe, tout en continuant à satisfaire la demande interne qui ne cesse d’être revue à la hausse, est d’investir lourdement dans la prospection et le développement de nouveaux gisements".
Ainsi, pour le spécialiste, "les pays européens, qui paniquent actuellement à l’approche de l’hiver surtout du fait que les prix de l’or bleu ne cessent d’augmenter sur les marchés internationaux, n’ont pas d’autres choix que de mettre la main à la poche afin d’apporter les fonds nécessaires aux investissements dans la prospection et l’augmentation de réserves prouvées d’hydrocarbures".
Et d’insister: "la Société nationale algérienne des hydrocarbures (Sonatrach) ne portera en aucun cas préjudice à ses gisements actuels juste pour faire plaisir aux Européens. Les autorités actuelles algériennes estiment que ces gisements appartiennent d’abord aux générations futures".
Quid de la question mémorielle?
Pour ce qui est de la question mémorielle, le chercheur rappelle qu’"Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de la France dans l’assassinat du militant communiste Maurice Audin et de l’avocat Ali Boumendjel. Il a également ouvert une partie des archives coloniales, notamment celle concernant les disparus, et restitué 24 crânes d’insurgés algériens entreposés auparavant au Muséum national d’histoire naturelle de Paris".
Et de poursuivre que le Président français "a également commandé un rapport sur la question mémorielle à l’historien Benjamin Stora, qui l’accompagnera dans son voyage en Algérie avec deux autres experts, et qui lui a fait 22 propositions dans le cadre d’une démarche graduelle pour ouvrir ce chantier sensible des deux côtés de la Méditerranée". "Un rapport que les Algériens ont rejeté à cause du fait qu’il n’intègre pas la question des excuses pour la période coloniale, la restitution de la totalité des archives, l’indemnisation des victimes des essais nucléaires et la décontamination des sols dans les zones ayant abrité ces essais", souligne-t-il.
"Paris devrait renouveler sa diplomatie envers le continent"
Enfin, Riadh Sidaoui estime que la question des visas, "tout comme celle liée aux laissez-passer pour le rapatriement d’Algériens en situation illégale en France, bien qu’elle soit importante, ne peut pas être dissociée des accords d’association signés entre l’Algérie et l’UE et qui sont en vigueur depuis 2005. Il faut bien voir que l’Algérie a respecté scrupuleusement la partie liée aux échanges économiques au détriment de sa propre économie, avant que le Président Tebboune ne mette un terme à cette situation, alors que la France, comme les autres pays européens, n’a même pas respecté la partie liée à libre circulation des personnes".
"La France, qui est le deuxième partenaire commercial de l’Algérie après la Chine, pourrait faire le choix d’opter pour une augmentation significative de ses investissements directs dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant, assurant un transfert du savoir-faire scientifique et technologique, à l’instar de ce qu’elle a fait en Tunisie et au Maroc, notamment dans les transports en commun rapides [comme le TGV, ndlr], le dessalement de l’eau de mer par le nucléaire, l’automobile, l’aéronautique, l’aérospatial", juge-t-il. Et d’indiquer cependant que "le gouvernement algérien devrait, de son côté, lever toutes les entraves bureaucratiques qui empêchent le lancement d’une telle coopération dans le respect total des intérêts vitaux nationaux".
"Paris devrait laisser tomber les anciens réflexes de la Françafrique et renouveler sa diplomatie envers le continent afin qu’une coopération puisse s’établir avec l’Algérie, dans un contexte où Rabat a scellé des accords économiques et de Défense avec Israël -sous le regard bienveillant américain-, lesquels pourraient avoir de bien fâcheuses conséquences sur ses intérêts au Maghreb et en Afrique en général", conclut-il.