"Ce n’est que depuis le 2 mars que Paul-Henri Damiba a été investi des pleins pouvoirs en tant que Président de la République. C’est donc à partir de maintenant que les lignes doivent bouger et que les Burkinabè sauront s’il est venu pour s’amuser ou pour rétablir l’ordre dans le pays", déclare Pascal Zaïda, interrogé par Sputnik.
Président de la Coordination nationale pour une transition réussie (CNTR), qui est actuellement l’un des principaux regroupements d’organisations de la société civile au Burkina Faso, Pascal Zaïda s’exprimait ainsi au sujet des poursuites judiciaires réclamées depuis la prise de pouvoir de Paul-Henri Damiba par de nombreux Burkinabè contre des cadres du régime de Roch Kaboré accusées de malversations financières.
Des malversations au rang desquelles figure en bonne place un trafic de carburant d’ampleur nationale dont la mise en lumière de certaines ramifications a particulièrement défrayé la chronique en octobre 2021. Ce trafic servirait selon la justice à financer, entre autres, les groupes terroristes qui endeuillent le Burkina Faso depuis 2015. Si plusieurs dizaines de personnes ont déjà été interpellées depuis octobre, les Burkinabè s’impatientent de voir des "grosses têtes" tomber.
Également interrogé par Sputnik, Valentin Yambkoudougou, porte-parole de Sauvons le Burkina Faso, le mouvement citoyen qui aura fait figure de véritable poil à gratter au cours des derniers mois du pouvoir de Roch Kaboré en organisant plusieurs manifestations, juge "légitime cette soif de justice", mais tout comme Pascal Zaïda, il estime que c’est maintenant que Paul-Henri Damiba est pleinement aux commandes que "les choses pourront commencer".
"C’est normal que les gens s’impatientent, mais rien ne doit se faire en dehors de la loi. Concernant la gestion des ressources publiques, il y a eu beaucoup de manquements. D’où la nécessité d’un contrôle approfondi pour situer les responsabilités. De même, plusieurs ont souhaité l’arrestation des dignitaires du régime déchu sous prétexte qu’ils constituaient une menace pour le pouvoir actuel. Il ne faut toutefois pas répéter les erreurs de l’insurrection de 2014 et de la transition qui l’a suivie. Il y a la volonté populaire, certes, mais il y a aussi la légalité à respecter", souligne-t-il.
Et justement, dans les heures qui ont suivi l’investiture de Paul-Henri Damiba, les autorités de la transition ont lancé un vaste contrôle des structures publiques qui va notamment consister en des audits d’investigation et de détection des fraudes financières.
Paix et sécurité, "enjeux majeurs" des trois prochaines années
Si la lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance font partie de leurs objectifs prioritaires, la sécurité et la paix, soutient Pascal Zaïda, demeurent "les enjeux majeurs pour les autorités de la transition et constituent la priorité des priorités".
Le Burkina Faso, en effet, est depuis 2015 en proie à toutes sortes d’exactions meurtrières. Plusieurs groupes, liés pour certains à Al-Qaïda*, évoluent dans le pays, le plus important étant sans doute le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Mais faute de revendications, les auteurs de ces attaques récurrentes sont baptisés HANI (hommes armés non identifiés). Et la crise sécuritaire liée à ces attaques, mais également les tensions communautaires qu’elles favorisent ou attisent, occasionnent de nombreux morts. À ce jour, il est estimé que plus de 2.000 personnes ont déjà péri. Les déplacés internes sont quant à eux évalués à plus d’un million et demi.
"Ce n’est qu’une fois ces deux conditions [de sécurité et paix, ndlr] remplies que tout développement pourra être amorcé. Cela dit, la charte de la transition a défini plusieurs axes de développement du pays pour les trois prochaines années", ajoute-t-il.
Adoptée le 1er mars à l’issue d’assises nationales, cette charte fixe la durée de la transition à 36 mois, soit trois ans, à compter de la date de l'investiture de Paul-Henri Damiba. Elle prévoit également l’inéligibilité de ce dernier aux élections présidentielle, législatives et municipales qui mettront fin à la transition. Par ailleurs, cette charte fixe à 25 au maximum le nombre des ministres qui formeront le futur gouvernement de la transition, et à 71 celui de membres de l’organe législatif qui sera mis en place pour cette période de trois ans.
Au sujet de cet organe législatif, certains observateurs estiment d’ores et déjà problématique la dominance des militaires dans sa composition. En effet, il est prévu que 21 membres soient directement désignés par Paul-Henri Damiba et que les forces de défense et de sécurité y aient 16 représentants. De son côté, Pascal Zaïda émet lui aussi quelques réserves sur cette composition.
"Tel que cet organe est composé, le Président Damiba y aura une majorité écrasante. On peut dès lors se poser la question du but recherché. Il ne faut pas occulter le rôle et la place de la classe politique dans un État de droit. Je pense alors que le chef de l’État devrait se rattraper en se servant de son quota pour éventuellement essayer de réguler les choses afin qu’on ait un équilibre dans le jeu démocratique pour les trois ans à venir. Cela dit, nous veillerons à ce que les lois qui seront votées concourent non seulement à la bonne marche de la transition, mais aussi au retour de l’ordre constitutionnel normal", affirme-t-il.
Le rôle de la CNTR sera justement de veiller à la mise en œuvre fidèle du contenu de la charte.
"Nous ne voulons plus, par exemple, de nominations par complaisance ou copinage. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont contribué à la chute tant de Blaise Compaoré que de Roch Kaboré. Il faut désormais que chacun soit mis à la place qu’il faut", prévient le président de cette organisation.
Il faut noter que la CNTR est actuellement l’unique organisation de référence identifiée par le Parlement européen pour "surveiller les autorités et exiger qu’elles assurent la protection des défenseurs des droits de l’homme et des organisations de la société civile dans l’exercice de leur mandat, y compris en dénonçant les violations des droits de l’homme, les violences policières et le recours excessif à la force".
Pour l’heure, l’Union européenne, par la voix d’Emmanuella Del Re, sa représentante spéciale au Sahel, a exprimé sa confiance aux nouvelles autorités burkinabè, et assuré avoir bon "espoir que tout ira bien".
*Organisation terroriste interdite en Russie