Civils tués, routes coupées, villages brûlés: le Burkina Faso perd-il le nord?

© AFP 2023 OLYMPIA DE MAISMONTDes militaires burkinabè patrouillent près d'un véhicule blindé français stationné à Kaya, capitale de la région du centre-nord du Burkina Faso, après que des personnes ont manifesté pour s'opposer au passage d'un convoi logistique français vers le Niger voisin, le 20 novembre 2021
Des militaires burkinabè patrouillent près d'un véhicule blindé français stationné à Kaya, capitale de la région du centre-nord du Burkina Faso, après que des personnes ont manifesté pour s'opposer au passage d'un convoi logistique français vers le Niger voisin, le 20 novembre 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 21.12.2021
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Le Burkina Faso est-il en passe de perdre la région du Nord et en particulier la province du Loroum? Plusieurs signaux tendent vers cette direction. Ces derniers jours, élus locaux et citoyens appellent le gouvernement à mener des actions urgentes pour sauver cette partie du pays des mains des terroristes et autres groupes armés.

"Voilà aujourd’hui que le Loroum – déjà en en délicate posture avec des attaques récurrentes – fait face à une offensive armée comme jamais auparavant. La situation dans la province est particulièrement alarmante", lance Fortune Younga, interrogé par Sputnik.

Dans une vidéo devenue virale, cet activiste de la société civile avait interpellé l’opinion sur la situation sécuritaire dans la province du Loroum dont il est originaire, déjà marquée par une montée en puissance des groupes armés. Et il sonne de nouveau l’alerte, au vu des événements actuels.

"La ville de Titao (chef-lieu de la province) est depuis plusieurs jours encerclée par des hommes armés. Il est devenu très risqué de s’aventurer au-delà de trois kilomètres de la ville. Sur la route principale qui relie Titao à Ouahigouya (ville à environ 50 kilomètres), il y a eu des attaques qui ont fait des morts. Il y a également eu des enlèvements de personnes dont nous sommes sans nouvelles jusqu’à présent. Par ailleurs, il est plus qu’évident que les VDP armés de simples Kalachnikov ne peuvent pas faire face à ces gens", affirme-t-il.

Les VDP sont les "Volontaires pour la défense de la patrie", soit des civils mobilisés dans les villages et armés par le ministère de la Défense, et dont le recrutement à titre de supplétifs aux forces de défense et de sécurité dans la lutte antiterroriste a été entériné le 21 janvier 2020 par la loi.
Dans une déclaration commune publiée sur les réseaux sociaux le 14 décembre, les députés et maires de la province du Loroum ont lancé un appel au secours au gouvernement, l’invitant à fournir plus de "moyens nécessaires" aux VDP et aux forces de défense et de sécurité pour affronter les terroristes.
Le trafic routier étant fortement perturbé voire à l’arrêt, des portions de routes sont le contrôle de groupes armés, les vivres et autres produits de première nécessité commencent déjà à manquer sérieusement à Titao, qui abrite pourtant des dizaines de milliers de personnes ayant fui leurs villages, la situation sécuritaire n’ayant cessé de se dégrader ces derniers mois.
Mais au-delà de cette ville, c’est toute la province du Loroum qui baigne dans une insécurité manifeste.
En effet, le 12 décembre, Ouindigui, une commune rurale située à une quinzaine de kilomètres à l'est de Titao, qui regroupait une dizaine de villages et près de 30.000 déplacés, a vu débarquer des hommes armés en grand nombre. "Ce sont plusieurs centaines de terroristes qui ont pris ce jour-là toute la localité en otage. Ils ont brûlé et tout saccagé sur leur passage. Les VDP ont résisté aussi longtemps qu’ils le pouvaient mais certains ont été tués, d’autres ont pu s’enfuir. La population a aussi dû s’enfuir [en majorité vers Ouahigouya, ndlr]", poursuit Fortune Younga.
Dans la semaine du 13 au 19 décembre, l'aviation burkinabè a mené plusieurs frappes dans les environs de Ouindigui, qui auraient, selon des médias locaux, fait une centaine de morts du côté des terroristes. Mais elles semblent pour l’heure ne pas avoir complètement réussi, la présence massive d'hommes armés dans la zone étant rapportée par certains témoignages.
Toutes sortes de groupes armés pullulent au Burkina Faso, occasionnant une grande confusion. Certains sont liés à Al-Qaïda*, et le plus important d’entre eux est sans doute le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Mais faute de revendications, les auteurs de ces attaques récurrentes sont baptisés HANI (hommes armés non identifiés) par les autorités.

Un même mode opératoire

La situation à Titao n’est pas sans rappeler celle à laquelle ont été confrontées d’autres localités du Burkina Faso, notamment Djibo. En effet, cette ville de la province du Soum et de la région du Sahel (nord du pays) a subi durant de nombreuses semaines en 2020 un blocus imposé par des hommes armés. Ces derniers avaient investi les axes menant à la ville, arraisonnant et menaçant véhicules et passagers. Leur présence avait sérieusement entravé son ravitaillement au point où vivres, médicaments, carburant et autres produits de première nécessité étaient devenus des denrées rares dont les prix avaient inévitablement flambé.
D'après certains spécialistes comme le Burkinabè Paul Oumarou Koalaga, interrogé aux moments des événements de Djibo par Sputnik, l’objectif de ces individus est d’intimider et asphyxier les populations de sorte à les pousser au départ. De fait, ils se rendraient ainsi maîtres de nouveaux territoires. Il est actuellement estimé qu’un tiers de la superficie du Burkina Faso échapperait au contrôle de l’État.
La situation sécuritaire globale s’est tellement dégradée ces deux derniers mois que le Président Roch Kaboré, dont une partie de la population réclame la démission à travers des marches régulières, a dû prendre les devants en opérant des changements majeurs.

Le traumatisme d’Inata, comme élément déclencheur

Le 14 novembre dernier, 53 gendarmes et quatre civils étaient tués au cours de l’attaque du détachement de gendarmerie d’Inata, dans la région du Sahel, au nord du Burkina Faso. Cette offensive menée par des dizaines d’assaillants, qui est à ce jour la plus meurtrière pour les forces de défense et de sécurité depuis la contagion djihadiste en octobre 2015, a choqué tout le pays et provoqué colère et exaspération. Ainsi, pendant plusieurs jours, ce sont des milliers de personnes qui ont battu le pavé pour réclamer la démission du Président Roch Kaboré et du gouvernement.
Pour apaiser la grogne sociale qui gagnait en intensité mais aussi tenter d’apporter des solutions à l’impasse sécuritaire, le chef de l’État a procédé à d’importantes nominations dans le commandement de l’armée et de la gendarmerie.
Par ailleurs, un nouveau gouvernement, dont l’effectif est passé de 34 à 26 membres, a été formé le 13 décembre. Conduite par Lassina Zerbo, ancien secrétaire exécutif de l'organisme onusien de surveillance de l'interdiction des essais nucléaires (OTICE), la nouvelle équipe gouvernementale a pour mission clairement affichée de "gagner la confiance du peuple". Et cela passe nécessairement par apporter des solutions urgentes et efficaces au drame que vivent les populations du Loroum.
*Organisation terroriste interdite en Russie
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