Comment l'opération spéciale en Ukraine renforce-t-elle "le succès africain" de la Russie?

Alors que l’intervention militaire de la Russie en Ukraine suscite des réactions aux autres coins du globe, en Afrique, le succès de cette opération pourrait renforcer l’image de Moscou auprès d’une opinion publique africaine qui lui est de plus en plus acquise. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
Sputnik
L’intervention militaire de la Fédération de Russie en Ukraine a suscité et continue de susciter de nombreuses réactions aux quatre coins du globe. Alors que les pays de l’Otan ont manifesté leur indignation en imposant des sanctions "dévastatrices" — pour reprendre les propos du Président américain Joe Biden — à la Russie, en Chine et surtout Afrique, c’est la prudence qui est de mise. Dans une déclaration publiée ce jeudi 24 février 2022, sur le site Web et le compte Twitter de l’Union africaine (UA), le président en exercice de l’organisation panafricaine, le Sénégalais Macky Sall, et le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, ont exprimé "leur extrême préoccupation face à la très grave et dangereuse situation créée en Ukraine".
Exhortant les parties à instaurer un cessez-le-feu et à revenir à la table des discussions, les deux responsables africains ont appelé "la Fédération de Russie et tout autre acteur régional ou international au respect impératif du droit international, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine".
Des poids lourds du continent ont également réagi sans prendre parti. Tout en se disant consternés par l’escalade militaire, ils ont appelé la Russie et l’Ukraine à régler pacifiquement le conflit qui les oppose. Une position timorée des responsables africains qui tranche avec le soutien que les opinions publiques africaines semblent de plus en plus apporter à la Fédération de Russie depuis quelque temps et qui pourrait se renforcer davantage si Moscou sort gagnant de cette épreuve de force.
Étant donné que la crise ukrainienne est et reste avant tout la résultante d’une rivalité opposant la Russie à l’Otan, le succès de l’opération militaire menée actuellement dans cette ancienne république soviétique pourrait renforcer l’image positive et la crédibilité dont jouit déjà "l’Ours russe" auprès des opinions publiques africaines en quête de nouveaux partenaires dans le cercle très fermé des grandes puissances...

Un partenaire crédible

En effet, il n’est un secret pour personne que la Fédération de Russie jouit d’un préjugé favorable auprès des opinions publiques africaines, notamment chez les jeunes. Ces derniers voient en elle une alternative crédible aux puissances occidentales, dont la condescendance et les politiques ont laissé des traces indélébiles dans les cœurs et les esprits. À la différence des capitales occidentales, Moscou n’affiche pas la démocratie sur le continent noir comme un objectif prioritaire à imposer à ces pays et, par-dessus tout, il n’a pas la réputation de lâcher ses alliés en difficulté en cours de chemin.
Il faut dire que ce dernier point est l’un des éléments qui expliquent le succès de la Russie en Afrique, et le confit survenu en Syrie a été particulièrement riche d’enseignements à cet égard.
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En effet, beaucoup d’Africains, à commencer par les chefs d’État, ont vu comment Moscou a défendu le gouvernement de Damas face à la coalition arabo-occidentale conduite par Washington. Ils ont également observé comment la même Russie s’est positionnée énergiquement aux côtés d’une République centrafricaine lâchée par la France, alors qu’elle était minée par des conflits intercommunautaires sanglants et était confrontée à des groupes armés qui contrôlaient la majeure partie du territoire national. Pas surprenant que les Maliens aient fait appel à la Russie lorsque l’Hexagone a annoncé le redéploiement de la force Barkhane l’année dernière. Pas non plus surprenant que Moscou soit devenu le choix préféré de nombreux Africains au sud du Sahara...
Aussi, la Russie se garde généralement de s’immiscer dans les affaires internes des autres États. Une approche qui n’est pas sans déplaire, non plus, et paradoxalement, à des populations africaines de plus en plus hostiles à toute forme d’ingérence occidentale, quand bien même elle s’exercerait contre un pouvoir impopulaire. En cause: le sentiment que ces pressions poursuivraient, parfois, d’autres objectifs que la simple affirmation des principes au nom desquels elles se déploient.
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Tout ceci permet de comprendre le "succès africain" de la Russie. Considérée comme un partenaire crédible en raison de la constance de son engagement dans ses rapports avec ses partenaires et/ou alliés, elle a aujourd’hui un avantage certain sur ses adversaires en Afrique, et ce en dépit du fait qu’elle reste loin derrière la France et l’Union européenne en matière d’aides et d’investissements sur le continent.

Niveau de crédibilité zéro

Dans une telle optique, on comprend pourquoi l’intervention militaire de la Fédération de Russie en Ukraine suscite à peine des haussements d’épaules en Afrique subsaharienne, contrairement aux cris d’orfraie que l’on observe du côté occidental. Cette distance tient non pas à l’indifférence des Africains face à la situation dramatique en Ukraine ou au discours des pays occidentaux sur le respect d’un droit international que ces mêmes pays n’hésitent pourtant pas à violer quand cela fait leur affaire. C’est en tout cas ce qui ressort des échanges sur les réseaux sociaux depuis le début de l’intervention russe en Ukraine.
Loin de chercher à justifier ou à cautionner les actions de la Russie en Ukraine, la posture de nombreux Africains met en exergue l’inconsistance d’un discours occidental sur les droits de l’homme et le droit international qui a perdu toute crédibilité en dehors du monde occidental et plus particulièrement en Afrique.
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En clair, les accusateurs de la Russie sont aujourd’hui "victimes" de leurs agissements passés sur la scène internationale. Afghanistan, Irak, Yougoslavie (Serbie), les exemples de violations flagrantes du droit international par les pays de l’Otan sont trop nombreux pour les passer sous silence comme le fait la presse mainstream occidentale depuis le début des activités militaires russes en Ukraine. L’intervention de l’Otan en Libye ainsi que l’assassinat brutal du colonel Mouammar Kadhafi sont également encore frais dans les esprits pour être oubliés. Au nom de la Responsabilité de protéger (R2P), l’Alliance atlantique a en effet renvoyé ce pays africain (l’un des plus prospères du continent) à l’âge de la pierre taillée, avec au bout du compte une terrifiante rançon humaine. Comment accorder le bénéfice du doute et de la bonne foi à des pays qui prétendent défendre le droit international en Ukraine alors qu’ils ont passé la majeure partie de leur le temps à le violer ailleurs? L’indépendance controversée du Kosovo, en février 2008, n’a-t-elle pas été saluée par les mêmes pays de l’Otan qui reprochent aujourd’hui à la Russie d’avoir reconnu les républiques sécessionnistes de l’Est ukrainien?
C’est le genre de deux poids deux mesures qui n’a pas échappé aux Africains et à tous ceux qui s’intéressent aux relations internationales ces deux dernières décennies.
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