Les tensions autour de l’Ukraine, plus vives que jamais entre la Russie et l’Otan, fournissent au gouvernement américain une bonne excuse pour s’adonner à l’un de ses passe-temps favoris: menacer la Russie de sanctions.
Cependant, le terrain de la guerre économique se complique pour Washington. Ainsi, lorsqu’Olaf Scholz, le chancelier allemand, a rendu visite à Joe Biden le 7 février, les deux dirigeants ont fait front commun pendant quelques instants au sujet des futures sanctions contre la Russie. Mais lorsque l’hôte de la Maison-Blanche a indiqué que ces mesures impliqueraient l’arrêt de toute livraison via le gazoduc Nord Stream 2, qui transporte du gaz russe vers l’Allemagne et l’Europe, cette belle union s’est aussitôt fissurée. Berlin refuse en effet catégoriquement cette sanction, qui serait évidemment contraire à ses intérêts.
Le 25 janvier, Reuters a relayé l’appel d’entreprises américaines mécontentes à l’idée de perdre des revenus à cause des restrictions antirusses: "Un groupe commercial représentant Chevron, General Electric et d’autres grandes entreprises américaines qui font des affaires en Russie demande à la Maison-Blanche d’envisager de donner le temps aux compagnies US de respecter leurs engagements et d’exempter certains produits alors qu’elle prépare des sanctions pour les actions de la Russie en Ukraine."
Moscou est-il la vraie cible de cette guerre économique ou son véritable objectif serait-il d’empêcher toute amélioration de la compétitivité de l’Europe par le biais d’un rapprochement avec Moscou?
Il serait compliqué pour les Américains de sanctionner encore davantage les Russes, estime Baki Maneche, avocat spécialisé en diplomatie des affaires:
"Il y a des milliards de dollars d’intérêts nord-américains en Russie, qui représente une part de marché importante avec quand même 150 millions d’habitants et consommateurs. Donc d’un point de vue économique, c’est compliqué, d’où la fronde des entreprises américaines."
D’après l’avocat, les compagnies US pourraient quand même tenter de profiter d’une dérogation. En effet, les sanctions contre l’Iran et les talibans* en Afghanistan avaient par exemple protégé les intérêts des firmes américaines:
"Soit des exceptions sont prévues dans les textes des sanctions mises en place. Soit chaque entreprise peut aller demander de manière individuelle une exemption à l’OFAC [organisme de contrôle financier dépendant du département du Trésor américain, ndlr]", détaille l’avocat.
En revanche, les Américains avaient refusé le même traitement aux multinationales des alliés occidentaux de Washington en Afghanistan. Quid des entreprises européennes en Russie?
"La législation européenne, dans les textes, interdit aux entreprises européennes de se conformer aux sanctions imposées par un pays tiers. Mais dans les faits, étant donné les interactions énormes avec les USA dans le monde des affaires –et surtout dans le monde de la finance–, les entreprises européennes préfèrent prendre le risque d’être en violation avec le règlement européen plutôt que d’être en violation avec les sanctions américaines", analyse Baki Maneche.
On constate donc que ce système de sanctions contre d’autres pays semble profiter uniquement aux intérêts économiques américains, ce que confirme notre intervenant: "Nos confrères et amis avocats US spécialistes des sanctions le disent tous: les sanctions sont en fait une arme de politique étrangère de Washington. Elles sont avant tout mises en place pour défendre les intérêts américains."
"Nous l’avons vu depuis de longues années sous les différents Présidents aux États-Unis: les intérêts américains ne sont pas toujours convergents avec les intérêts économiques européens. Les sanctions ne sont jamais uniquement utilisées dans la perspective de défendre l’intérêt général universel, c’est avant tout pour défendre l’intérêt des États-Unis", déplore l’avocat.
* Organisation sous sanctions de l’Onu pour activités terroristes