La France s’apprête à tourner une page au Sahel. Ce lundi se réunissaient les ministres de la Défense des pays concernés par la lutte anti-terroriste au Mali. Mercredi, à la veille du sommet UE-Afrique, Emmanuel Macron réunira à Paris les dirigeants européens et africains engagés dans le combat anti-djihadiste.
Ainsi se décidera dans les jours à venir le destin des quelque 5.100 soldats de l’opération Barkhane et des 900 engagés dans la force européenne Takuba. Toutefois, à Paris comme à Bruxelles, la décision semble déjà actée. Barkhane, qui porte militairement l’effort anti-djihadiste au Mali, devrait s’en aller. "Cela prendra le temps qu’il faudra, explique-t-on à l’Élysée. Mais c’est effectivement plus une question de jours que de semaines."
Un départ qui ne semble pas attrister grand monde au Mali, où les manifestations pour le départ de la France se multiplient. "Vous savez, quand quelque chose ne marche pas, ce n'est pas la peine d'insister. Tout le monde a compris que l'échec de la France aujourd'hui dans le Sahel est visible. Cette politique néocolonialiste ne peut pas continuer", explique au micro de RFI Jeamille Bittar, l'un des organisateurs d’une manifestation pour le départ de la France.
Une menace diffuse
Pour le journaliste gabonais Ferdinand Ditengou Mboumi, directeur de publication de Mir Magazine, ce mépris est la résultante d’une politique française catastrophique au Mali.
Contrairement à ce que laisse penser la diplomatie française, "Paris n’est pas poussée vers la sortie du continent par la Russie", estime-t-il au micro de Sputnik, "loin de là."
"Elle est victime de son incapacité depuis des années à éradiquer les phénomènes qui gangrènent la sous-région du Sahel. Par exemple, malgré les moyens conséquents mis en jeu par le contribuable français, le terrorisme, les bandes mafieuses et le crime organisé sont toujours présents", rappelle-t-il.
En effet, la situation sécuritaire régionale ne s’est pas améliorée après huit années d’engagement militaire français. Et ce malgré quelques francs succès tactiques des forces françaises. Pas plus tard que ce 10 février, la force Barkhane a tué 40 djihadistes islamistes impliqués dans des attaques meurtrières au Bénin.
Mais malgré les efforts des militaires français, la gangrène terroriste s’est diffusée. Alors qu’elle ne concernait initialement que le Mali, le Niger et le Burkina Faso voisins, la menace s’étend aujourd’hui à l’ensemble de la région et est devenue problème pour les pays du golfe de Guinée, jusqu’au Bénin, Togo, Côte d'Ivoire... "Force est de constater au regard de ce tableau sombre, qu’il y a une réelle déception au sein des populations africaines", poursuit le journaliste.
"Une réelle déception au sein des populations africaines"
Une déception qui, au fil du temps, se transforme en "un ras-le-bol de la politique française", précise-t-il.
"Les populations constatant que leur quotidien se dégrade, voient d’un mauvais œil la prolongation de la présence militaire française dans la plupart des pays africains, tout en soutenant les autorités en place dans leur volonté de diversifier des partenariats avec d’autres acteurs, dans l’espoir de rendre plus efficace le combat contre les groupes terroristes."
En définitive, l’incapacité de Paris à apporter la paix pour laquelle elle a pourtant été missionnée est la principale raison de cette hostilité sahélienne à la présence française. "La paix est la principale attente des populations africaines dans les pays en conflits. Aucun développement n’est possible dans ces pays sans la paix."
Aussi, "l’escalade verbale et médiatique de ces derniers mois entre la France et le Mali, qui de mon point de vue n’honore pas l’image de la France, vient aussi réveiller chez les populations la fibre patriotique", ajoute notre interlocuteur. Les propos de Jean-Yves Le Drian, considérant le gouvernement malien comme "illégitime" et "hors de contrôle", qui ont déjà provoqué l’expulsion de l’ambassadeur français, ont été mal accueillis par la population malienne et les peuples voisins. Une diplomatie hasardeuse dénoncée jusqu’à Paris.
"On a un ministre des Affaires étrangères (en France) qui fait des déclarations à l’emporte-pièce qui nous valent l’expulsion de notre ambassadeur – probablement le meilleur que l’on avait dans la sous-région. Le Drian persiste et signe à l’Assemblée nationale en réitérant ses propos. Pour qui se prend-il?", interrogeait un ex-diplomate avec lequel Sputnik s’est entretenu.
La France est donc "victime de son arrogance, de son comportement haineux et belliqueux", estime le journaliste gabonais.
Une diplomatie bien éloignée de celle vantée par François Mitterrand, dans son fameux discours de La Baule, qui invitait les pays d'Afrique à lancer un processus de démocratisation. Dans ce discours, bien connu des Africains, qui s’inscrivait dans un contexte post-guerre froide, le Président socialiste s’attachait à réaffirmer que "la démocratie est un principe universe.." Toutefois, précisait-il, "il ne faut pas oublier les différences de structures, de civilisations, de traditions, de mœurs. Il est impossible de proposer un système tout fait […]. La France n’entend pas intervenir dans les affaires intérieures des États africains amis… Pour nous, cette forme subtile de colonialisme qui consisterait à faire la leçon en permanence aux États africains et à ceux qui les dirigent, c’est une forme de colonialisme aussi perverse que tout autre".
Intervention en Libye
Si lointaine soit-elle, cette histoire du colonialisme et du néocolonialisme n’est pas étrangère à l’actuelle sentiment anti-français au Mali, affirme Ferdinand Ditengou Mboumi. Des années 1960 à la prononciation de ce discours en 1990, la France a soutenu, renversé d’innombrables dirigeants africains au gré de ses intérêts.
"Pendant très longtemps, la France était intouchable, imperturbable chez elle – dans ses anciennes colonies. Il n’y avait aucune concurrence, il fallait obtenir au préalable un accord pour justement y mettre pied. Il n’y a eu aucun effort pour changer de paradigme même après 1990. Elle a cru contrôler la situation même après la fin des blocs", explique-t-il.
Cette volonté de conserver une influence politique importante en Afrique francophone, fer de lance de la puissance française à l’international, est également responsable de ce mépris envers Paris. L’échec politique et militaire de l’intervention française au Sahel en est une conséquence logique, estime notre interlocuteur.
À cela s’ajoute une réelle rancune des populations de la région envers la France pour son intervention en Libye et le renversement de Kadhafi. L’intervention qui a semé le désordre qui secoue la région depuis une décennie. Comme le résumait le Président du Niger, Mahamadou Issoufou, "nous (Sahéliens) subissons les conséquences de l'intervention en Libye".
Un bilan regrettable au regard des 58 militaires français qui ont laissé leur vie au Sahel.