Rapatriement de demandeurs d'asile: Washington et Yaoundé sur le banc des accusés

L’organisation Human Rights Watch accuse Washington d’avoir exposé des demandeurs d’asile camerounais à des "maltraitances" durant leur expulsion et à de graves préjudices dans leur pays d’origine. Alors que plusieurs fuient les crises en cours au Cameroun, l’ONG suggère aux gouvernements des deux pays de "remédier à ces abus".
Sputnik
Le Cameroun et les États-Unis viennent d'être épinglés par l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW). Dans un rapport publié le 10 février, l’ONG accuse les deux pays de violations des droits humains. Au centre des accusations, des demandeurs d’asile Camerounais rapatriés depuis les États Unis entre 2019 et 2021. Tout d’abord, HRW, dans son rapport, martèle que les personnes renvoyées au Cameroun ont fait l'objet à leur arrivée "d'arrestations et de détentions arbitraires; de disparitions forcées; de torture, viol et autres violences; d’extorsion; de poursuites injustes… ". Par la suite, l’organisation dénonce le mauvais traitement réservé à ces demandeurs d’asile camerounais sur le territoire américain.

"Le gouvernement des États-Unis a complètement laissé tomber des Camerounais ayant des demandes d'asile crédibles en les renvoyant dans le pays qu'ils ont fui, ainsi qu'en maltraitant des personnes déjà traumatisées avant et pendant leur expulsion", a déclaré Lauren Seibert, chercheuse sur les droits des réfugiés et des migrants à HRW.

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"Des abus regrettables"

Dans sa démarche, HRW, dit avoir mené des entretiens auprès d’une centaine de demandeurs d'asile camerounais aux États-Unis et au Cameroun, notamment "des membres de familles et amis des personnes expulsées, des témoins d'abus, des avocats, des défenseurs des droits des migrants, et des experts". Commentant pour Sputnik le rapport susmentionné, Hilaire Kamga, ancien responsable Cameroun de l’ONG Nouveaux droits de l’homme (NDH), pense qu’il "est regrettable de réaliser que c'est le gouvernement des États-Unis qui se permet de tels abus, lorsqu'on sait que pour la plupart des personnes concernées par ces expulsions, le motif de la crise ambiante dans les régions anglophones du Cameroun est évoqué".

"Cela est tout simplement grave que les États-Unis, membre des Nations unies, puissent se permettre ces actes de violations du droit international des droits de l'homme en expulsant des citoyens vers des lieux où ils pourraient subir des tortures", se désole le spécialiste.

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En effet, le Cameroun fait face à des crises protéiformes dont les plus violentes sont le conflit séparatiste dans ses régions anglophones et la guerre contre Boko Haram* à l’Extrême-Nord. Une situation qui contraint beaucoup de Camerounais à prendre le chemin de l’exil. Comme raison évoquée par ces ressortissants camerounais pour justifier leur situation irrégulière: "la menace sur leur sécurité au Cameroun".

"Remédier aux abus"

Car dans ces multiples crises que traverse le pays, les ONG locales ou internationales ont souvent décrié des exactions et actes de répression contre les civils de part et d’autre. Des accusations très souvent rejetées par le gouvernement de Yaoundé qui, à coup de déclarations et de communiqués, brandit sans cesse la thèse d’un "complot" contre le Cameroun. Une ligne de défense qui ne passe pas pour Hilaire Kamga.

"Il est établi que le Cameroun reste un État tortionnaire. Ce n'est pas seulement nous qui le disons, puisque tous les rapports les plus pertinents le dénoncent. Ces demandeurs d’asile sont pour certains poursuivis et risquent d'être torturés, pour des faits qui sont souvent discutables", argue le juriste spécialiste des droits de l’homme.

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HRW demande aux deux pays de "remédier à ces abus, et les autorités américaines devraient offrir aux Camerounais expulsés à tort la possibilité de revenir et de présenter une nouvelle demande d'asile" a déclaré Lauren Seibert. Fin 2020, alors que les agents des services de l’Immigration et des contrôles douaniers (ICE) américains avaient expulsé plus de 90 Camerounais, HRW avait déjà demandé au gouvernement des États-Unis d’exempter tous les ressortissants camerounais en situation irrégulière sur le territoire américain de toute mesure d’expulsion. Si pour l’instant, Yaoundé n’a pas réagi face à ces nouvelles accusations, en 2020 déjà, le ministère des Relations extérieures du pays soulignait pour sa part dans le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune, à la suite d’un autre rapatriement, que des mesures avaient été prises pour que ces "compatriotes regagnent leurs familles".
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