"Pour augmenter la production électrique nationale d’ici 2050, il nous faut, à côté de cet effort historique […] reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France."
Elle s’est fait désirer. Depuis l’usine GE Steam Power de Belfort, où Emmanuel Macron présentait le 10 février sa vision pour la France de 2050, il lui a fallu pas moins de 35 minutes pour en arriver à l’annonce du "lancement d’un programme de nouveaux réacteurs" nucléaires.
Développement d’une filière hydrogène nationale, renforcement du solaire et de l’éolien dans le mix, les mesures en matière de nucléaire sont arrivées bonnes dernières de son plan énergétique pour le pays. Le tout assaisonné d’un discours liminaire sur sa "confiance en cette énergie", en France du moins, et un hommage appuyé au "sérieux" des agents d’EDF et à l’exigence de l’autorité de sûreté nucléaire.
Sa tentative de donner le maximum de gages à ceux que ses annonces sur l’atome vont offenser est patente. D’ailleurs, s’il a fini par annoncer la mise en chantier de six réacteurs EPR-2 à l’horizon 2028, il est encore question d’"avancer par paliers" avec huit autres réacteurs, qui ne sont pour l’heure qu’"en option".
L’EPR-2, un réacteur "pour le marché français", qui a "tiré les leçons de la construction d'EPR en Finlande [...] et en France à Flamanville". Une précision de Macron qui ne doit rien au hasard. À cause de ses retards et surcoûts, l’EPR de Flamanville est devenu aux yeux des détracteurs de l’atome la preuve même de la nécessité d’abandonner l’énergie nucléaire.
En plus d’annoncer la mise en chantier de nouvelles centrales, le locataire de l’Élysée renonce à fermer les plus anciennes. Jusqu’en octobre 2021, où il a annoncé une enveloppe d’un milliard d’euros pour le développement de petits réacteurs modulaires (SMR), le Président parlait encore de fermer douze réacteurs dans l’optique de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production électrique nationale, contre 70% aujourd’hui.
Macron ménage la chèvre écolo et le chou nucléaire
"Je souhaite qu’aucun réacteur en état de produire ne soit fermé à l’avenir", déclarait-il aujourd’hui, appelant à "prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l’être". Des déclarations qui provoquées la colère de la gauche. Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon ont ainsi fustigé la politique du "tout nucléaire" menée par le gouvernement.
Si à gauche, on se concentre sur le nucléaire à abattre, ignorant royalement les annonces en matière de renouvelable, c’est l’inverse qui se produit à droite. Marine Le Pen et Éric Zemmour ont ainsi vertement condamné la "folie" de l’éolien dans laquelle s’enfermerait Macron.
Nucléaire et éolien, un énième "en même temps" qui passe mal aux yeux de Fabien Bouglé. S’il salue la "volonté de renaissance" de la filière nucléaire tricolore, le lanceur d’alerte écologiste est "ulcéré" par les annonces en matière d’éolien. Au-delà du doublement de la puissance installée en matière d’éoliennes terrestres, Emmanuel Macron a fait part de sa volonté de faire émerger 50 parcs au large des côtes françaises. Une "honte absolue" pour l’auteur d’Éoliennes: la face noire de la transition écologique (Éd. du Rocher, 2019).
"L’annonce du candidat-Président est une véritable déclaration de guerre contre la ruralité et contre le monde marin!", dénonce-t-il auprès de Sputnik. "C’est inouï, criminel, scandaleux!", renchérit-il. "Cela va incontestablement susciter la colère des gens qui luttent contre la pollution éolienne. C’est une provocation qui va lui coûter cher, je pense qu’il va perdre énormément de voix suite à cela."
Pour l’heure, aucun des huit projets de parc off-shore en France n’a encore vu le jour. Tous rencontrent une forte opposition des riverains, des pêcheurs et d’associations de défense de l’environnement. Pour Fabien Bouglé, ces projets sont des aberrations, tant écologiques qu’économiques. Au-delà de la pollution visuelle générée par les aéromoteurs et de leur impact sur la flore et la faune, le coût de ces installations en argent public n’a rien à envier aux EPR, comme le révélait un rapport de la Commission européenne.
Éoliennes: 50 parcs off-shore d’ici 2050
À l’été 2019, l’organe exécutif européen avait chiffré à huit milliards d’euros la somme des subventions sur vingt ans pour les deux parcs éoliens alors prévus sur les côtes normandes, c’est presque autant que le décrié dérapage budgétaire de l’EPR de Flamanville, dont la facture a grimpé de 3,3 à 12,7 milliards d’euros en quinze ans.
Mais, à en croire le chef de l’État, cette animosité grandissante des Français à l’égard des aéromoteurs ne serait que la résultante de procédures administratives trop longues pour mener ces chantiers à bien. "Depuis Belfort, le Président de la République s’adresse aux Parisiens!", accuse Bouglé, en référence à l’électorat citadin d’Emmanuel Macron. Des citadins qui, par définition, ne vivent pas à proximité d’éoliennes.
Pire encore aux yeux de notre intervenant, ce "en même temps" macronien se ferait ressentir jusque dans ses propositions en matière de nucléaire. "On ne traite pas de Fessenheim, qui a été arrêtée et qui pourrait tout à fait être relancée pour recouvrer 2,2% de la production électrique" nationale, regrette l’écologiste qui a visité la centrale alsacienne aux côtés d’Éric Zemmour, le 3 février dernier.
Une relance du nucléaire en trompe-l’œil
Fessenheim, dont le sort fut scellé par l’accord électoral signé fin 2011 entre le Parti socialiste et EELV. Selon Fabien Bouglé, l’esprit électoraliste de ce deal subsisterait dans ces annonces en demi-teinte d’Emmanuel Macron. Président sortant qui, à la veille d’élections, cherche toujours à ménager son potentiel électorat écologiste.
"Avec le nucléaire, Emmanuel Macron est dans la situation du pompier pyromane: le pompier est le candidat et le pyromane, c’est le Président!"
Il faut dire qu’Emmanuel Macron a repris à la lettre les pistes proposées en octobre par RTE. Alors qu’il semble vouloir relancer la filière nucléaire, Macron se base donc sur une étude prospective fondée sur le postulat que cette énergie devra baisser à 50% du mix énergétique à l’horizon 2035. Loin de signer un retour en grâce du nucléaire, le plan de Macron ne ferait qu’accompagner son déclin.
De plus, il s’inscrit toujours dans l’objectif du ministère de la Transition écologique, à savoir atteindre la neutralité carbone dans la consommation globale d’énergie en France. Une sortie totale des énergies fossiles qui se traduirait immanquablement par une baisse de 40% de la consommation d’énergie en France, toutes activités confondues.
Sobriété énergétique ou décroissance?
Un chiffre qui avait fait bondir certaines économistes, lesquels n’avaient pas manqué de souligner l’incongruité d’un tel postulat, à l’instar de Philippe Herlin. Impossible selon ce dernier de parvenir à un tel objectif sans imposer de "lourdes contraintes" à la population, comme des restrictions de déplacement ou la fin du logement individuel: une politique de décroissance, en somme.
Emmanuel Macron préfère quant à lui parler de "sobriété" énergétique, ne voyant aucune incompatibilité entre réduction de la consommation d’énergie et hausse de la production. "Faire en 30 ans de la France le premier grand pays du monde à sortir de la dépendance aux énergies fossiles", telle est l’ambition affichée du Président, au nom de l’indépendance énergétique et de la préservation du pouvoir d’achat des Français.
C’est rapidement oublier que, si la facture électrique flambe, c’est avant tout à cause de l’application des mesures de Bruxelles qui imposent l’ouverture et le maintien d’une concurrence artificielle. Afin de s’assurer que les concurrents d’EDF restent toujours bénéficiaires, l’État français a notamment mis en place un tarif régulé qui répercute sur la facture des consommateurs le coût de l’approvisionnement de ces nouveaux acteurs.
Or, c’est à travers eux que les prix au compteur s’affolent en France, dans la mesure où ces bourses sont alimentées par une électricité produite dans d’autres pays européens… à partir d’hydrocarbures. Bref, c’est jusque dans sa conception même de l’indépendance énergétique qu’Emmanuel Macron semble verser dans le "en même temps".