Les chiffres sont choquants. Le risque de subir un accident vasculaire cérébral (AVC) est 40% plus élevé "parmi les personnes appartenant aux 25% les plus modestes que parmi celles appartenant aux 25% les plus aisés".
Signée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), l’étude qui a révélé cette disparité remet en question l’idée de l’égalité au sein de la République.
Interrogé par Sputnik, Christian Recchia, médecin, se dit "content que cette publication ressorte". Celui qui préside le pôle Prévention à l’Académie de télémédecine et d’e-santé confirme cette situation qui est typique quand on est "loin de la capitale".
"Dans un village où il n’y a plus de médecin, de magasin, de pharmacie, lorsque l’on est payé 1.200 euros net, que l’on doit nourrir quatre personnes, on est dans le stress. Ce sont des gens qui ont la propension, dès l’âge de 25 ans, à être candidats à des accidents vasculaires cérébraux", déclare-t-il.
Pour notre interlocuteur, "même si les gens ont de grandes forces spirituelles", ces travailleurs –mineurs, ouvriers de la sidérurgie, infirmières, aides-soignantes– "ont oublié le jardinage, l’activité physique, les promenades" et le lien familial. Depuis 30 ans, lors des "observations territoriales chez les personnes en grand besoin matériel", il constate la multiplication de facteurs de risque: "sédentarité, immobilité, consommation de mauvaises graisses et pas assez de végétaux".
Covid-19, un facteur de risque supplémentaire
Infatigable propagandiste d’un mode de vie sain, Christian Recchia insiste : "le médecin généraliste, avec les infirmières et infirmiers, est la clé de voûte de tout système de santé", indépendamment du pays où l’on se trouve. "Quadriller" un territoire, une ville, un village ou un quartier permettrait de repérer les personnes avec "un niveau de vie précaire". Et la précarité n’entraîne pas seulement une nutrition peu équilibrée, mais un manque d’activité physique et mentale.
"Aujourd’hui, le corps physique est démembré par toutes sortes d’addictions, y compris l’excès d’écran. Mais ces gens sont également en hypotrophie complète de ce que l’on peut appeler le ‘corps spirituel’: ils n’écoutent pas de musique, ne vont pas au théâtre, ne lisent plus", explique Christian Recchia.
Le médecin loue les années 1960, quand tous les dimanches, "les familles pauvres en France faisaient une balade de cinq à dix kilomètres" ensemble. Et même si cette promenade "se terminait à 17 heures par une tarte", elle paraît plus bénéfique à notre interlocuteur que le fait, pour un enfant d’aujourd’hui, de rester devant son smartphone.
"Il faut rajouter que l’arrivée du Covid, même léger, sur l’organisme a augmenté considérablement le risque de maladie cardiovasculaire, dont l’AVC. Le virus provoque une maladie vasculaire disséminée", prévient-il.
Ainsi, la sédentarité, l’alcoolisme, le tabagisme –vus par le médecin comme "les primes à la pauvreté"– ainsi que les complications du Covid risquent "dans les prochaines années" de provoquer "des drames vasculaires" en France. Pour lui, la déprogrammation des traitements de maladies vasculaires due à la pandémie pourrait également impacter toutes les populations "de Brest à l’Oural".
D’après l’étude du ministère de la Santé, les populations plus pauvres souffrent davantage de séquelles de leur AVC. Chez elles, on estime l’augmentation du risque de paralysie persistante au-delà de 24 heures de 22%, et celui de trouble du langage de 11%.
"Quand on a les moyens culturels et financiers de faire de l’activité physique de rééducation en se disant ‘je vais récupérer parce que c’est possible’, l’organisme et le cerveau peuvent organiser une réparation quasi exhaustive. Et ça devient un vrai problème quand on n’a pas de moyens financiers", dénonce Christian Recchia.
L’auteur du livre Les 4S pour rééquilibrer sa vie (Ed. Humensciences) a l’habitude de prendre le problème dans son ensemble. Il sait par expérience que dans les milieux défavorisés, "il est difficile culturellement" également de remplacer "tabac, boissons ou café" par de la rééducation de "deux à quatre heures par semaine".
Désert médical et la réhabilitation
L’étude pointe de doigt une forte corrélation des complications "à la qualité et à la rapidité de la prise en charge initiale". En France, où près de 3,8 millions de Français vivent dans un désert médical, le niveau de vie joue également sur l’accès aux services les plus adaptés à l’hôpital.
"Le désert médical vient ajouter le mal au mal. Dans les ‘zones blanches’ de France, où il n’y a plus de médecine, on a des patients qui au lieu d’être soignés dans l’heure qui suit l’accident vasculaire cérébral, peuvent en faire plusieurs. Plus on perd de temps, moins on a de chances de bénéficier d’une bonne réparation", conclut le docteur Recchia.
Tout en bénéficiant de "la même qualité de médecins", de techniques et de fonctionnement, le patient perd des heures précieuses dues à l’éloignement des soins de haut niveau nécessaire. D’après la Drees, les pauvres ont "10 % de chances en moins d’être pris en charge en unités neurovasculaires".