Les législateurs ougandais siégeant à la commission du budget ont décidé de bloquer l’allocation de fonds demandée par le ministère de la Défense et des Anciens combattants pour financer les opérations de la Force de défense du peuple ougandais (UPDF, Uganda People’s Defence Force) en cours en République démocratique du Congo (RDC). Présentée lundi 24 janvier 2022, la demande du ministère de la Défense a reçu une fin de non-recevoir le lendemain après des heures de débats à la chambre basse du parlement. Ce qui laisse entrevoir un bras de fer entre l’exécutif et la chambre basse.
Selon le représentant du ministère de la Défense dirigé par Jacob Oboth-Oboth, les fonds, évalués à près de 89,6 milliards de shillings ougandais (l’équivalent de 26 millions de dollars), devraient entre autres couvrir le coût de la logistique, de la communication et des besoins relatifs aux salaires et au bien-être des militaires. Il a ajouté que le budget ne concernait que les 12 mois d'opération prévus.
Une opération entourée de mystères
C’est depuis le 29 novembre 2021 que des éléments de l’UPDF opèrent conjointement avec les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC. Baptisée Shujaa, cette opération militaire est censée mettre définitivement hors d’état de nuire les rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF). À l’origine des rebelles musulmans ougandais, ces derniers sont soupçonnés d’entretenir des liens avec les rebelles Al-Chabab de Somalie, Al-Qaïda* et le terrorisme islamiste international. Ils sont également accusés d’avoir tué plus d’un millier de civils congolais depuis octobre 2014 dans la ville de Beni, située au Nord-Kivu, et on leur impute la mort de 15 Casques bleus tanzaniens en 2017. Les autorités ougandaises ont accusé les ADF d’être responsables du double attentat qui a fait trois morts et une trentaine de blessés à Kampala, le 16 novembre 2021. Du côté congolais comme du côté ougandais, on affirme que la décision de mener une opération conjointe contre les ADF a été prise à la suite de cet attentat.
Mais la réalité semble être aux antipodes des affirmations officielles. Surtout quand on sait que, du côté ougandais, la volonté d’intervenir militairement au Nord-Kivu et en Ituri est antérieure aux attentats qui ont frappé Kampala. En effet, le Président ougandais Yoweri Museveni l’avait déjà fait savoir dès le mois de septembre 2021, réitérant plus d’une fois sa volonté d’intervenir dans la partie orientale du Congo pour y traquer les ADF. Dans cette optique, l’attentat du 16 novembre à Kampala, revendiqué pourtant par le groupe État islamique*, aurait servi de casus belli.
D’ailleurs, plusieurs observateurs dans la région doutent du bien-fondé de l’argument sécuritaire brandi par les autorités ougandaises avec la complicité de leurs homologues congolais pour justifier la présence des éléments de l’UPDF sur le sol congolais. Le doute est d’autant permis que non seulement les massacres des civils se poursuivent en dépit de l’instauration de l’état de siège dans la région depuis mai 2021 et des opérations conjointes en cours — et on peut légitimement se demander si l’on a vraiment besoin de deux armées nationales pour venir à bout d’un petit groupe armé composé d'hommes armés de kalachnikovs et de machettes rouillées—, mais en plus cette intervention n’est pas une première en soi. Depuis 1996, l’Ouganda est en effet intervenu en RDC, en violation du droit international, plus d’une fois, tantôt pour des raisons idéologiques, mais aussi et surtout pour des raisons économiques, comme l’ont montré les experts des Nations unies dans leurs rapports.
Cette appétence de l’Ouganda pour les ressources naturelles de son grand voisin n’a jamais faibli. Yoweri Museveni a toujours voulu tirer son épingle du jeu en RD Congo en cherchant à étendre sa zone d’influence en Ituri et dans une partie du Nord-Kivu. C’est dans cette optique qu’il a signé avec son homologue congolais, le 16 juin 2021, un important protocole d’accord portant sur la construction d’un réseau routier censé booster les échanges économiques entre la RDC et l’Ouganda. Les travaux sont exécutés dans le cadre d’un partenariat public-privé au sein duquel la répartition des parts dans le financement s’effectue de la manière suivante: la compagnie d’ingénierie ougandaise Dott Services ltd (60%), le gouvernement ougandais (20%) et le gouvernement congolais (20%). On comprend ici que le maître du jeu et d’ouvrage est et reste Kampala.
Dans une dynamique régionale où le Rwanda, qui est en froid avec l’Ouganda depuis plusieurs années, marque des points en renforçant sa mainmise sur la partie orientale de la RDC, l’intervention militaire de l’Ouganda en Ituri ne saurait donc être décorrélée de la conjoncture régionale et être regardée uniquement sous le prisme sécuritaire...
La revanche des parlementaires ougandais
D’ailleurs, tant du côté de Kampala que de Kinshasa, on est resté évasif sur les contours de ces opérations militaires. À la veille du déploiement ougandais, les autorités congolaises ont d’abord nié qu’une intervention militaire allait avoir lieu. Confrontées à la réalité des faits sur le terrain, elles ont fini par déclarer que la RDC avait donné son feu vert à l’UPDF pour traquer les ADF sur le sol congolais... à la grande méfiance du Rwanda.
Reste que l’opacité entourant les opérations conjointes de l’UDPF et des FARDC n’a pas échappé aux parlementaires ougandais. Tenus dans l’ignorance par l’exécutif, ils ont insisté plus d’une fois pour être éclairés sur les motifs de l’intervention, sans succès. En gros, l’UPDF est intervenue en RDC sans l’aval du parlement; et la décision des élus ougandais de bloquer l’allocation de fonds demandée par le ministère de la Défense et des Anciens combattants pour financer ses opérations au Congo est une forme de revanche sur l’histoire.
Pour la plupart des députés ougandais, surtout ceux de l’opposition, tant que le gouvernement ne fournira pas au parlement des détails précis sur la nature des opérations et leur calendrier, l’allocation budgétaire devra être bloquée. Le président de la commission du budget Patrick Isiagi a clairement fait remarquer que les élus doivent avoir été informés sur l’opération avant que toute proposition de financement soit présentée. Reste à savoir si le bras de fer entre l’exécutif et le parlement aura raison de l’opération Shujaa. Le pouvoir se pliera-t-il aux desiderata de la chambre basse ou fera-t-il tout simplement du forcing comme par le passé?
*Organisation terroriste interdite en Russie