"La colonisation française a légué aux États africains un modèle d’élection et de démocratie fondé sur l’imitation, qui n’a jamais fonctionné. S’il a parfois semblé fonctionné, ce n’est uniquement qu’en vertu des rapports de force, car il fonde l’exercice du pouvoir sur la force de domination d’un clan sur d’autres. On imite [l’ancien colon, ndlr], son organisation politique, mais sans en avoir la substance. Et dans chaque pays, on réintroduit dans ce modèle hérité des particularismes contestés par d’autres ethnies ou clans. C’est là le problème numéro un qui fait que les choses ne marchent pas. Un deuxième problème, d’ordre sociopolitique et économique, est celui de la non-répartition des richesses. Le clan qui arrive aux affaires a tendance à tout s’accaparer", explique-t-il.
Le cas particulier du Sénégal
"Depuis son accession à l’indépendance en 1960, quatre Présidents se sont succédé au Sénégal, et l’armée joue son rôle de gardien des institutions. Le Sénégal est un pays multiconfessionnel quoique majoritairement musulman. Toutes les religions sont absolument tolérées. Il faut rappeler que le premier Président, Léopold Sédar Senghor, était catholique. Il y a des confréries [musulmanes, ndlr] influentes comme celles des Tidjanes ou des Mourides qui stabilisent l’espace politique et civil. Et les associations et organisations de la société civile ont une connotation plus politique qu’ethnique. Ce pays est donc politiquement en avance sur de nombreux autres. Les récentes municipales l’ont encore démontré, le Président Macky Sall et la majorité présidentielle ont connu un revers dans la capitale Dakar et d’autres grandes villes comme Ziguinchor, et il n’y a pas eu de contestations", souligne l'analyste.
Un changement de système pas si évident
"C’est pourtant là une situation complexe, car changer de modèle implique qu’il y en a au moins un de tout prêt, ce qui n’est évidemment pas le cas. Il faudrait dès lors qu’il y ait des historiens, des économistes, des sociologues, des politiques… qui fassent tout ce travail de réflexion et d’organisation politique sur le long terme. Et c’est loin d’être une tâche aisée, car en Afrique, la connaissance est toujours regardée de façon méfiante par les autorités", soutient le professeur.
"À ceci près qu’à la différence de la France, des pays comme la Russie, la Chine ou encore la Turquie n’ont pas d’ambitions hégémoniques affichées en Afrique. Tout ce qui les intéresse, c’est de pouvoir y faire du business. Et l’une de leurs grandes forces pour leur implantation progressive sur le continent réside justement dans cette posture qui tranche avec celle de la France", affirme-t-il.