Macky Sall, des déboires électoraux au goût amer avant l’Union africaine

En prenant les rênes de l’Union africaine en février 2021, le Président sénégalais aura en tête la défaite retentissante de son camp aux élections locales du 23 janvier 2021. Les percées fulgurantes de l’opposition radicale à Dakar et à l’intérieur du pays lui imposent des tâches domestiques jusqu’à la fin de son mandat, en 2024.
Sputnik
"Razzia", "La déroute", "L’ouragan Yewwi", "Le naufrage", "Le grand séisme". La presse sénégalaise du 24 janvier 2021 ne s’est pas privée pour qualifier la grande secousse politique née des élections municipales et départementales du 23 janvier. Au terme de ces joutes électorales reportées à plusieurs reprises, la coalition d’opposition "Yewwi askan wi" (YAW, Libérer le peuple) a frappé un très grand coup en remportant un grand nombre de collectivités territoriales aux dépens de la coalition au pouvoir "Benno Bokk Yaakaar" (BBY, Unis pour l’espoir). Les deux grandes attractions de ces joutesélectorales sont tombées dans l’escarcelle de l’opposition radicale: la ville-capitale Dakar aux mains de Barthélémy Dias et Ziguinchor (au sud du pays) au profit du "chef" de l’opposition Ousmane Sonko. Pour le Président Macky Sall, également dirigeant de BBY et pour qui cette échéance représentait un tournant important avant les législatives de juillet prochain, il va falloir tirer les leçons d’un "tsunami politique" qui semblait imprévu dans son agenda.

"Ce qui semble surtout avoir provoqué cette déroute, c’est que le Président de la République se soit arrogé le droit de choisir lui-même les candidats comme le ferait un entraîneur-sélectionneur de football. Et en général, quand une équipe est en déroute, c’est le coach qui en est le premier responsable. Cet échec à conquérir Dakar, Ziguinchor ou Thiès, Macky Sall en devient le responsable principal dans des élections qui ne sont ni législatives ni présidentielles. De hauts responsables du parti et de l’État envoyés au tapis, cela signifie que les électeurs ont plus ou moins teinté leurs amertumes et leur désamour par rapport au pouvoir en place alors qu’il s’agissait d’élire les magistrats des communes et les présidents des conseils départementaux", souligne Momar Thiam, directeur de l’École des Hautes études en information et communication (HEIC) de Dakar dans un entretien accordé à Sputnik.

En octobre 2021, Mahmout Saleh, directeur de cabinet du Président sénégalais, avait affirmé: "les élections locales à venir ne seront locales que de nom. C’est des élections politiques, c’est des élections nationales (…) Nos résultats vont trancher le débat sur la candidature de Macky Sall à la présidentielle de 2024".
Selon Momar Thiam, les propos de cet ancien trotskiste considéré comme le stratège et l’idéologue de la présidence sénégalaise ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. "Je considère que ce fut là le coup de sifflet qui a donné à l’opposition, et notamment à la coalition Yewwi askan wi, l’avantage et l’opportunité d’attaquer le Président sur la thématique du 3e mandat."
Au moins une vingtaine de ministres et de directeurs générauxde sociétés publiques et parapubliques ont été battus dans leurs circonscriptions électorales. Abdoulaye Diouf Sarr (Santé), Amadou Hott (Économie), Zahra Iyane Thiam (Microfinance) et le porte-parole du gouvernement Oumar Guèye (Collectivités locales) sont quelques-unes des victimes de la "déferlante Yaw" qui s’est abattue sur le pouvoir. ÀDakar, en plus de la ville, Yewwi askan wi a raflé 15 des 19 communes d’arrondissement de la capitale, en l’attente de la proclamation des résultats définitifs. Pour M.Thiam, expert en communication et l’un des artisans de la victoire d’Abdoulaye Wade à la présidentielle de 2000, les succès engrangés par les opposantsne relèvent pas du hasard.

"Ce qui a prévalu dans la victoire d’Ousmane Sonko à Ziguinchor et de Barthélémy Dias à Dakar, c’est le discours clair, précis et constructif dans leur opposition radicale au pouvoir. Ils n’ont jamais donné l’impression de vouloir faire des compromis et compromissions avec leurs adversaires politiques. En termes de communication, ils n’ont pas varié d’un iota. Cette posture de constance et de persévérance les a distingués de plusieurs autres figures de l’opposition car les électeurs veulent de la clarté dans le positionnement politique de ceux qui demandent leurs suffrages", souligne-t-il.

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"Accepter la défaite et en tirer les leçons"

Avec des ressources supérieuresà celles de toutes les coalitions concurrentes, divisée en son sein par des listes de candidats à la fois dissidentes et tolérées par le Président de la République, la coalition au pouvoir reste majoritaire dans les communes et contrôlera au moins 32 départements sur 46.

"Benno Bokk Yaakaar conserve son hégémonie à l’échelle nationale. Toutes les collectivités territoriales étant égales en dignité, nous analysons sans complaisance nos contre-performances pour affiner notre stratégie de reconquête. Nous ferons l’effort de comprendre davantage le sens du vote pour apporter des réponses appropriées en vue des prochaines échéances", a affirmé le minis

L’argent a particulièrement bien circulé au cours d’une campagne électorale de deux semaines marquée par une complète inégalité de moyens entre les candidats de la mouvance présidentielle et leurs adversaires.

"L’étalage de richesses et de logistiques dans leurs caravanes a dénaturé une bonne partie de la campagne électorale de Benno Bokk Yaakaar. C’était le moment de faire beaucoup de proximité auprès des populations des communes et des départements. Àla fin, il y a eu une sorte d’exaspération de l’opinion contre cette forme de campagne électorale centrée sur l’argent", déplore Momar Thiam.

En décembre dernier, le Président Macky Sall avait annoncé son intention de s’exprimer sur les résultats des élections locales, en même temps qu’il aborderait les perspectives de la présidence sénégalaise de l’Union africaine qui débute en février prochain. Pour M.Thiam, l’urgence aujourd’hui est que le chef de l’État "accepte cette défaite" de son camp "pour lui-même d’abord".

"Une occasion extraordinaire lui est offerte de comprendre le message des électeurs du 23 janvier pour répondre aux aspirations des Sénégalais (…) et de nommer un Premier ministre capable de s’attaquer aux véritables problèmes des populations: la santé, l’éducation et, surtout, de promouvoir véritablement l’éthique de la gestion des affaires publiques en mettant un terme aux scandales qui se succèdent dans certaines sociétés nationales. Cette posture ouvrirait au Président de la République une porte de sortie assez honorable après la fin de son mandat en cours."

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En offrant de se soumettre aux suffrages locaux, Ousmane Sonko prenait un risque politique certain en cas d’échec. Aujourd’hui, sa large victoire dans son fief politique et affectif lui permet de consolider un peu plus sa stature de candidat présidentiel pour 2024. En même temps, Macky Sall est politiquement affaibli par les résultats d’un scrutin que ses proches envisageaient pourtant comme un argument de taille pour "forcer" une troisième participation d’affilée à une élection présidentielle…
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