Maroc: La communication, "talon d’Achille" du nouveau gouvernement?

100 jours se sont écoulés depuis l’arrivée du nouveau gouvernement et, comme le veut la tradition, un premier bilan s’impose à l’issue de ce "délai de grâce". Gestion d’affaires de chantage sexuel, décisions controversées au ministère de l’Éducation, communication inexistante… retour sur quelques faits marquants de ce début d’exercice.
Sputnik
Ses promesses ambitieuses ont marqué les esprits d’une population aspirant à un renouveau, après une décennie sous l’ère islamiste. Le chef de gouvernement, Aziz Akhannouch, dont le parti (Rassemblement national des indépendants, RNI) est arrivé en tête des élections du 8 septembre 2021, avait placé la barre très haut lors de sa campagne préélectorale. Sous le slogan "Tu mérites mieux", des promesses de réformes et de changement, avec l’humain au cœur du processus. Mais trois mois après, l’opinion publique marocaine déplore un premier "bilan" mitigé, avec une communication inexistante, ou "maladroite", sur des sujets pourtant primordiaux comme le pass vaccinal qui a fait couler beaucoup d’encre ou encore la fermeture des frontières prolongée. Une partie de l'opinion semble regretter que les décisions aient parfois été communiquées à la dernière minute.
Contacté par Sputnik, le politologue et doyen de l’Institut des sciences politiques de l’Université Mundiapolis de Casablanca Ali Lahrichi décrit à son tour la communication de ce nouveau gouvernement comme étant "un vrai couac".
"Une communication est faite par le porte-parole du gouvernement mais qui, parfois, ne va pas dans le même registre que celle des ministères. Nous avons un déficit de communication, qui se fait parfois la veille de la mise en œuvre de la décision. C’est le talon d’Achille de ce gouvernement."

Le social comme priorité

Force est de constater néanmoins que le nouveau gouvernement a pris à bras le corps des sujets d’importance majeure, comme le volet social, très attendu par les Marocains. C’est le cas notamment de la santé, érigée en priorité nationale après le lancement par le roi Mohammed VI du large chantier de la protection sociale, et qui devra permettre entre autres l’instauration de l’Assurance Maladie obligatoire pour 11 millions de Marocains. À ce sujet, le politologue marocain constate que:
"le gouvernement a essayé d’accélérer sa mise en œuvre à travers 18 décrets spéciaux pour la généralisation de la couverture sociale et des retraites au profit de différentes catégories sociales."
Mais celle-ci reste néanmoins tributaire des ressources humaines largement déficitaires: le ministrede la Santé, Khalid Ait Taleb, recense un manque de 32.000 médecins et 65.000 infirmiers. La loi de finances 2022 a prévu la création de 5.500 postesbudgétaires, soit un total largement insuffisant, que le ministère compte compléter en recourant aux compétences à l’étranger, notamment aux quelque 14.000 médecins marocains exerçant hors des frontières du royaume.
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Sur l’éternelle question du chômage, le projet très ambitieux de création d’un million d’emplois avait fait des sceptiques. Quelques initiatives en attente de concrétisation ont déjà vu le jour, comme le lancement du programme "Awrach" (chantiers) visant la création de 250.000 emplois directs dans des chantiers temporaires, ou encore l’approbation de 31 projets d’investissements qui devraient permettre la création de près 12.000 emplois. Mais pour régler ce problème, le gouvernement a surtout décidé de s’attaquer à la racine en bousculant le secteur de l’éducation qui a souffert de plusieurs années de laxisme. Dans le but de favoriser le choix du métier d’enseignant par vocation plutôt que par dépit, la limitation d’âge de recrutement initialement fixée à 45 ans a été ramenée à 30 ans, provoquant ainsi la colère des chômeurs ayant passé la trentaine.
"Des procédures strictes et une injustice envers les personnes qui n’ont pas eu la chance d’avoir de bons résultats [scolaires, ndlr] malgré leur très bon niveau de connaissances, et envers les personnes âgées de plus 30 ans."
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Le ministère de l’Enseignement a lui aussi démarré sur les chapeaux de roues avec un secteur aux multiples difficultés liées notamment à la qualité et à la pénurie de ressources humaines. Mais pour le moment, le plus marquant à l’issue de ces 100 jours a sans doute été la gestion des scandales de harcèlement sexuel dans plusieurs universités du royaume avec une politique de "tolérance zéro", qui s’est traduite par plusieurs démissions au sein des universités et une série de procès.
Sur le plan économique, la relance est un grand défi pour ce nouveau gouvernement. Malgré une croissance qui frôle les 8% pour le troisième trimestre 2021, et des mesures d’urgence déployées par certains ministères, certains secteurs demeurent handicapés par la pandémie.
"Le transport, le tourisme, la culture devront attendre la rémission de cette crise pour monter dans le train du changement. D’après les prévisions, cela devrait se faire entre 2023 et 2024", remarque l’analyste Driss Aissaoui, joint par Sputnik.
Enfin, sur le plan législatif, le nouveau gouvernement a tout de même obtenu la ratification de 9 projets de loi, 47 décrets au total, et l’examen de 7 accords et traités internationaux, rapporte quant à lui Ali Lahrichi.
Il est sans doute encore trop tôt, après trois mois d’exercice, pour constater le changement tant espéré par les Marocains. Pour Ali Lahrichi, il faudra patienter encore 6 ou 7 mois pour dresser un véritable bilan. Mais en attendant, la première sortie médiatique d’Aziz Akhannouch à l’issue de ces 100 jours, prévue le 19 janvier, permettra peut-être de rassurer les Marocains sur les actions de ce nouveau gouvernement.
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