Encore un rebondissement dans le remplacement des Tornado de la Luftwaffe! Christine Lambrecht, nouveau ministre allemand de la Défense, aurait rouvert le dossier. L’objectif est de trouver un appareil apte à mener à bien la mission du parapluie nucléaire de l’Otan, à savoir transporter la bombe stratégique B-61 que les États-Unis confient à certains membres européens de l’Alliance atlantique.
Pressentie depuis fin novembre et la publication de l’accord de coalition entre sociaux-démocrates, verts et libéraux, cette procédure remet le F-35 au cœur du jeu. En effet, si l’Allemagne s’était positionnée en avril 2020 pour l’achat de 45 F/A-18 afin de les substituer à ses vieux Tornado, la validation au Bundestag de ce contrat d’achat avait été reportée au lendemain des élections. Or les Américains ont profité de ce délai pour supprimer le F/A-18 de la liste des appareils autorisés à transporter l’arme nucléaire, ne laissant de facto que le F-16 et le F-35 comme choix aux autorités allemandes.
SCAF contre F-35: pot de terre contre pot de fer?
Dans la mesure où Berlin n’a jamais fait certifier l’Eurofighter pour transporter la bombe US, l’Allemagne n’a plus que deux options. La première possibilité: entamer une procédure d’homologation au résultat incertain qui mettrait le pouvoir d’outre-Rhin en porte à faux vis-à-vis de ses obligations au sein de l’Otan… La seconde possibilité: se résigner à acheter des F-35A. Un choix qui n’est pas si cornélien aux yeux du général (2s) de division aérienne Jean-Vincent Brisset. "Le parapluie nucléaire est quelque chose qu’une grosse partie des électeurs allemands ne sont pas prêts à abandonner", souligne, au micro de Sputnik, le chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "C’est le Rafale ou le F-35. Il n’y a pas d’autre choix possible", estime-t-il.
"Si les Allemands prennent du F-35, cela serait le dernier clou dans le cercueil du SCAF [Système de combat aérien du futur, ndlr]", insiste le général (2s) Brisset.
Difficile d’imaginer le Rafale l’emporter en Allemagne, fief de l’Eurofighter. D’autant plus que l’appareil français devrait également recevoir l’aval des autorités américaines pour transporter la B-61. Par ailleurs, "techniquement, les arguments donnés par les Suisses tuent le Rafale", rappelle notre intervenant. Une allusion à la décision du Conseil fédéral suisse, en septembre, d’opter pour le F-35 en lieu et place du Rafale, de l’Eurofighter… ou encore du F/A-18.
"On peine à imaginer le maintien en service du Rafale ou de l’Eurofighter à l’horizon 2040 ou 2050", insistait alors le rédacteur en chef de la Revue militaire suisse auprès de Sputnik. Selon ce journaliste, la France, tout en cherchant à vendre des Rafale, se concentrait déjà sur développement de son remplaçant: le fameux SCAF.
Défense européenne: un va-tout politique?
Bref, aux yeux du général Brisset, sur le plan purement technique, le F-35 serait donc le choix le plus pragmatique que l’Allemagne puisse faire afin de remplacer ses Tornado. Malgré les critiques, le F-35 reste un appareil d’avenir, contrairement au Rafale et à ses principaux concurrents européens en fin de vie.
Quant à la concurrence du SCAF, celle-ci est pour l’heure tout bonnement inexistante. "Quoi qu’on fasse, même dans le meilleur des cas, le SCAF arrivera trop tard", insiste le géopolitologue. La capacité opérationnelle de l’appareil européen, qui doit prendre la relève des Rafale est Eurofighter, n’est prévu qu’à "l’horizon 2040".
Pour autant, tout n’est pas perdu pour la partie française, qui porte le projet à bout de bras. Notre interlocuteur souligne que, en matière de défense, les "considérations purement opérationnelles" cèdent souvent la place au "strictement politique".
Or, d’après le site Avions légendaires, ce sont les sociaux-démocrates du SPD, membres de la coalition actuellement au pouvoir, qui avaient obtenu en 2020 le report du vote au Bundestag sur l’achat d’appareils américains en remplacement des Tornado. D’ailleurs, le nouveau chancelier Olaf Scholz, lui-même issu des rangs du SPD, serait un "fervent défenseur" du SCAF selon le site d’informations aéronautiques.
Face au F-35, il reste donc une lueur d’espoir pour le programme franco-allemand. Cependant, au regard du calendrier politique européen, un désaveu de Berlin dans ce dossier éclabousserait directement Emmanuel Macron.
"On a en France un Président qui a imposé l’idée qu’il serait le Président de l’Union européenne, estime Jean-Vincent Brisset. C’est un jeu à double tranchant, car tout ce qui ne sera pas décidé en faveur de la France durant cette période sera considéré comme un échec."
Côté allemand, si les contreparties industrielles qui accompagnent généralement les contrats américains peuvent séduire, on lorgne également sur les transferts technologiques qui accompagneront le programme du SCAF.
En février 2021, Angela Merkel avait créé la polémique, en révélant publiquement les ambitions des industriels allemands à l’issue d’un conseil de défense franco-allemand. Aux yeux de l’ex-chancelière, le poids des Français dans le programme doit être réduit. Une ligne dont ne démord pas la Bundeswehr. Reste à savoir si les ambitions allemandes trouveront un écho dans la volonté française d’avancer à tout prix sur ce projet phare de l’"Europe de la défense" prônée par Paris.