Condamné par la justice algérienne, Nekkaz se voit comme le seul opposant "démocratique crédible"

L’homme politique algérien Rachid Nekkaz a été condamné à un an de prison ferme, pour "incitation à attroupement non armé". Une condamnation politique, affirme-t-il au micro de Sputnik. Entretien exclusif.
Sputnik
Le 27 novembre, le tribunal de Dar El Beïda, à l'est d'Alger, a infligé un an de prison ferme à Rachid Nekkaz, ancien candidat à la présidence algérienne. L’homme d’affaires était poursuivi pour "incitation au port d'armes contre des agents de l'État, incitation à des attroupements non armés en vue de bloquer la tenue des élections et publication sur Facebook d'informations susceptibles de porter atteinte à l'intérêt national".
La Cour a uniquement retenu l'accusation d'appel à "attroupement non armé", une démarche qui visait à empêcher la tenue des élections présidentielles du 12 décembre 2019. L'opposant Rachid Nekkaz avait lancé un appel à manifester sur sa page Facebook, le 3 décembre 2019, depuis Alicante en Espagne.

443 jours passés en prison

Pendant 443 jours, du 4 décembre 2019 au 19 février 2021, Rachid Nekkaz a été emprisonné à titre provisoire dans l’attente de son procès. D’interminables journées passées à la prison de Kolea, près d'Alger, puis au centre pénitentiaire d’Abiod Sidi Cheikh, en plein désert, avant de bénéficier d'une libération provisoire suite à la grâce du Président algérien, Abdelmadjid Tebboune. Ayant déjà passé plus d’un an derrière les barreaux, l’homme politique ne devrait pas repasser par la case prison, à moins que le procureur ne fasse appel de la décision. Auquel cas, un procès en appel s’ouvrirait en mars 2022.
Libre, mais se considérant sali, le militant algérien, qui a par ailleurs renoncé à sa nationalité française en 2013 afin de se présenter aux élections présidentielles algériennes de 2014, dénonce au micro de Sputnik un procès politique d’une justice aux ordres.
Sputnik France: Quel est votre état d’esprit après cette condamnation?
Rachid Nekkaz:"Je suis très heureux d’avoir enfin pu entendre une décision de justice algérienne qui soit fidèle à la réalité des faits qui me sont reprochés. Je suis particulièrement heureux que soit levée l’accusation la plus grave. Une accusation pour laquelle je risquais d’être condamné à mort en vertu de l’article 77 du Code pénal. À savoir, l’appel à un attroupement armé lié à une vidéo que j’aurais publiée le 3 novembre 2019."
Sputnik France: Pourquoi cette accusation n’a-t-elle pas été retenue?
Rachid Nekkaz: "C’est un montage vidéo qui a été diffusé à mon insu sur ma page Facebook par des forces de sécurité algériennes non identifiées et nous avons pu le prouver. Donc, enfin, la justice algérienne a reconnu que c’était un montage et que je n’ai jamais appelé les Algériens à tuer des députés qui votaient le lendemain une loi qui confiait les richesses gazières et pétrolières du pays aux multinationales étrangères."
Sputnik France: Malgré cela, vous maintenez votre accusation selon laquelle il y a dans l’appareil d’état algérien des personnes qui cherchent à vous nuire?
Rachid Nekkaz: "Il y a au plus haut niveau de l’État algérien un clan du pouvoir qui a l’intention de nuire à ma réputation et qui a la volonté de me neutraliser politiquement à l’approche des élections présidentielles de 2024. C’est la raison pour laquelle ils ont piraté ma page Facebook qui est suivie par 1,8 million d’abonnés, afin de me discréditer aux niveaux national et international. Enfin, cette décision de justice me blanchit totalement."
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Sputnik France: Il y a donc bien une justice indépendante en Algérie…
Rachid Nekkaz:"La justice a rendu la décision qu’elle a rendue, car nous avons les preuves que cette vidéo est un montage. Surtout que les trois officiers de police qui m’ont interrogé le lendemain de la publication de la vidéo étaient prêts à témoigner dans ce sens."

"Le régime algérien est un pouvoir multiforme"

Sputnik France: Pourquoi des fonctionnaires de l’État algérien s’en prendraient-ils à vous particulièrement, comme vous le laissez entendre?
Rachid Nekkaz: "Il y a un clan du pouvoir qui s’en prend à moi, car ils savent que je suis le seul opposant populaire en Algérie. La preuve: je suis l’un des initiateurs du Hirak le 19 février 2019, lorsque sous mes yeux, 15.000 citoyens ont bravé la peur et le pouvoir en faisant tomber un portrait géant de l’ancien Président, Abdelaziz Bouteflika. Ce clan du pouvoir sait que je suis la seule menace démocratique crédible aujourd’hui."
Sputnik France: Subissez-vous donc des mécanismes d’intimidation?
Rachid Nekkaz: "Le régime algérien est un pouvoir multiforme. Il n’y a pas qu’un seul décideur. À titre d’exemple, l’actuel Président, Abdelmajid Tebboune, a décidé de me gracier le 19 février 2021 avec quarante hommes en m’accordant notamment la liberté provisoire. J’avais alors la possibilité de quitter le territoire puisque mon passeport algérien m’a été remis. Cependant, il y a ce clan du pouvoir qui me veut du mal, qui a donné une instruction illégale pour m’empêcher de monter dans un avion à destination d’Alicante le 27 mars 2021.
Cela veut dire que le Président algérien n’a pas tous les pouvoirs et qu’il est obligé de composer avec d’autres clans qui, eux, ne souhaitent pas une transition démocratique en Algérie et qui ne souhaitent pas qu’un opposant comme moi puisse être un candidat à l’élection présidentielle. C’est la raison pour laquelle, depuis 2014, les autorités algériennes refusent de me renouveler ma carte d’électeur ou mon permis de conduire. Donc il faut composer avec ces différents clans du pouvoir."
Sputnik France: En l’occurrence, la condamnation dont vous faites l’objet reste cependant légitime d’un point de vue légal…
Rachid Nekkaz: "La décision du tribunal de Dar El Beïda [anciennement Maison-Blanche, ndlr] me condamne au motif que j’ai lancé un appel au boycott des élections présidentielles de 2019. Cet appel au boycott, je l’assume entièrement. C’est vrai que, d’un point de vue juridique, c’était illégal de se regrouper par centaines devant les 60.000 bureaux de vote algérien. Mais l’annulation de l’élection présidentielle du 18 avril 2019 par l’ancien Président Bouteflika était tout aussi illégale."
Sputnik France: Vous continuerez de porter ce combat politique malgré les possibles embûches?
Rachid Nekkaz: "Lorsque j’ai décidé d’abandonner ma nationalité française, le 23 août 2013, c’était pour m’engager corps et âme afin de faire émerger un état de droit et une démocratie en Algérie. Mais, si un clan du pouvoir refuse que je sois candidat en 2024 ou en 2029, je m’engage à continuer à agir avec toutes mes forces, de façon légale et démocratique, pour faire émerger cet état de droit et cette démocratie en Algérie. Cependant, je ne ferai pas appel de la décision qui a été rendue ce 27 décembre 2021 pour une raison simple: cette décision est une décision politique dont le seul but est de m’empêcher d’être candidat en 2024 en noircissant mon casier judiciaire. Donc je laisse au pouvoir algérien la responsabilité de cette décision judiciaire qui est injuste sur le plan politique, bien qu’elle soit légale du point de vue du Code pénal algérien."
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