La Ville de Montréal est depuis un an aux prises avec une grave flambée de violence, qui ne semble pas près de s’atténuer en 2022. "L’inquiétude est là. Des gens reçoivent des balles dans leurs fenêtres. […] Dans les quartiers chauds, on commence à dire qu’il vaut mieux ne pas sortir", constate la criminologue Maria Mourani à notre micro.
De fait, 187 événements impliquant des coups de feu ont été enregistrés par les autorités en 2021, une augmentation de 30% par rapport à 2020. De même, 367 balles ayant percuté une surface ont été récupérées par les policiers en 2021, une hausse de 67% par rapport à l’année précédente. Il s’agit du plus lourd bilan de la métropole en dix ans.
Des ados tués en pleine rue
À l’origine de cette flambée de violence: une nouvelle guerre entre les deux principaux gangs de Montréal, à savoir les "Crips" et les "Bloods", souligne Maria Mourani. Une guerre qui profite aussi du manque de ressources des autorités policières pour intervenir:
"Premièrement, on voit qu’il y a une guerre entre les deux grandes familles de gangs et à l’intérieur des deux grandes familles. Deuxièmement, les coupures budgétaires dans les escouades spécialisées empirent la situation. Troisièmement, il y a une plus grande accessibilité aux armes: c’est maintenant plus facile de se fabriquer des armes artisanales", analyse l’ex-députée fédérale à Ottawa (2006-2015).
Selon les informations de Daniel Renaud, journaliste à La Presse, la pandémie a été l’occasion pour les principaux groupes du crime organisé d’entamer une collaboration ou de renforcer leurs liens qu’ils avaient déjà.
Le crime organisé… se réorganise
Des problèmes de ravitaillement en stupéfiants dus à la rupture de certaines chaînes d’approvisionnement seraient notamment à l’origine de ces initiatives:
"Ces échanges accrus et nouveaux partenariats ont aussi permis à des individus d’amplifier leur influence au sein du crime organisé montréalais, au détriment d’autres acteurs", a écrit ce journaliste le 27 décembre dernier.
Selon Maria Mourani, en 2021, de nouveaux liens ont pu en effet se tisser entre les grands groupes du crime organisé, c’est-à-dire entre la mafia italienne et les motards, mais ils ne sont pas la cause de l’actuelle flambée de violence. Celle-ci est avant tout le fruit de rivalités entre bandes au bas de l’échelle:
"Le problème est surtout au niveau des gangs. Il y a peu de règlements de comptes au niveau du crime organisé. Le crime organisé, lui, a plus de moyens et de ressources que les gangs. […] Les réseaux sociaux participent aussi à l’escalade de la violence. Les membres des gangs s’affichent dans des vidéo-clips et mettent de l’avant toute la sous-culture gang. Ils se défient et s’invectivent sur le Web", précise l’auteur de Machine Jihad (Éd. de l’Homme, 2021) et Gangs de rue inc. (Éd. de l’Homme, 2009).
37 homicides ont été enregistrés à Montréal en 2021 et plus de 600 armes illégales y ont été saisies pour la même période.
Les policiers accusés de racisme
En guise d’explication, Maria Mourani pointe aussi le "sentiment d’impunité" dont bénéficieraient les membres des gangs de rue pour faire la loi:
"Le malaise est très présent […] On voit bien sur le terrain qu’il y a un désengagement de la police qui est plus fort dans certains secteurs. […] Du côté des policiers, on a un sentiment d’impuissance. C’est toujours là: les agents ne veulent pas se faire traiter de racistes", observe la criminologue.
Le 14 novembre dernier, un adolescent de 16 ans était assassiné en pleine rue, le troisième en 2021, pour des motifs toujours inconnus des autorités. Le 22 novembre dernier, Valérie Plante, maire de Montréal, et le Premier ministre québécois, François Legault, ont tenu une conférence de presse commune pour tenter de rassurer la population de la métropole québécoise face à la multiplication des incidents violents. "C’est une violence inacceptable que l’on ne veut plus voir à Montréal. On va donner un grand coup dans les prochains mois. […] Ce n’est pas le Montréal qu’on aime", avait alors insisté François Legault.
Le 28 décembre dernier, un autre adolescent était victime d’une tentative de meurtre en pleine rue, celui-là âgé de 17 ans. La situation fait maintenant craindre le pire à de nombreux parents de la métropole.