Israël bombarde la Syrie et met Bachar el-Assad en porte-à-faux

Le port de Lattaquié a subi de nouvelles frappes israéliennes. Une tentative de contraindre Assad à prendre ses distances avec Téhéran. "Pour Damas, l’Iran est à la fois une carte et un problème", analyse Camille Najm, spécialiste du Moyen-Orient.
Sputnik
Palmyre, Homs, Masyaf, Damas, Alep, Abou Kamal et maintenant Lattaquié. Israël quadrille le territoire syrien à la recherche des entrepôts d’armes iraniens.
Vers 3h21, "l'ennemi israélien a mené une agression aérienne" avec plusieurs missiles en direction de la Méditerranée, ciblant le principal port syrien de Lattaquié, a relayé l'agence de presse SANA. L'attaque a causé des dégâts matériels significatifs et entraîné des incendies.
C’est la seconde fois en moins d’un mois que l’aviation israélienne cible les installations portuaires. Le 7 décembre dernier, le terminal à conteneurs de ce même port avait déjà essuyé des bombardements.
Malgré la relative accalmie du conflit syrien, Israël intensifie ses raids contre des casernes, des convois de munitions et d’armes iraniennes ou du Hezbollah en Syrie. Une guerre qui risque de s’inscrire dans la durée. "Nous repoussons les forces du mal de cette région jour et nuit" avait martelé en décembre le Premier ministre israélien Naftali Bennett avant d’ajouter. "Nous ne nous arrêterons pas une seconde." Et c’est peu dire! Rien qu’en 2020, Tsahal avait procédé à plus de 500 frappes aériennes en Syrie pour ralentir "l'enracinement de l'Iran en Syrie", selon les termes du chef d'état-major de l'armée israélienne, Aviv Kokhavi.

Téhéran, "un allié encombrant" pour Damas?

Mais, derrière ces bombardements, Tel-Aviv souhaite acculer Damas à un choix cornélien. "Israël veut que la Syrie prenne ses distances avec l’Iran", estime au micro de Sputnik Camille Najm, politologue libanais et spécialiste du Moyen-Orient:
"Israël a intensifié ses frappes et a étendu son rayon d’action depuis plusieurs mois. L’armée israélienne prend ses aises dans les espaces aériens libanais et syrien avec un feu vert implicite de la Russie [Moscou ne l’a jamais confirmé] tout en ménageant les forces syriennes", avance notre interlocuteur.
En effet, bien qu’ennemi de Damas, Israël considère la Syrie de Bachar el-Assad comme un "moindre mal". Seuls l’Iran et ses milices représenteraient une véritable menace pour l’État hébreu. Israël cherche à tout prix à empêcher le pays des mollahs de produire des missiles à guidage de précision ainsi que des drones téléguidés. Production effectuée, selon Tel-Aviv, en territoire syrien non loin de ses propres frontières.
La présence iranienne en Syrie contre vents et marées
"Nous voulons empêcher l’Iran de transformer la Syrie en une base iranienne proche d’Israël, ce qui pourrait apporter un changement stratégique radical dans la situation. C’est pourquoi nous continuons à pilonner les bases iraniennes afin qu’elles ne prennent pas le contrôle du pays", déclarait Yossi Kuperwasser, ancien chef de la division de recherche du renseignement militaire de l’État hébreu.
Une posture israélienne qui commencerait à porter ses fruits.
"L’Iran est devenu un allié encombrant pour la Syrie. Depuis plusieurs mois, on remarque des divergences notables", estime le chercheur.
Ce réajustement se ferait déjà sentir sur le terrain. Les forces iraniennes ont récemment quitté l’aéroport de Damas pour se concentrer vers Homs. Selon les médias israéliens et saoudiens, Bachar el-Assad aurait fait expulser du pays le commandant local de la Force al-Qods des Gardiens de la révolution iraniens, le général Mustafa Javed Jafari, en raison de ses activités contre Israël. Néanmoins, cette information n’a pas été confirmée par Damas ni par Téhéran. De surcroît, certains voient dans le retrait progressif des troupes du Hezbollah du territoire syrien depuis 2019 une prise de distance avec la Syrie.

Vers une normalisation entre Israël et la Syrie?

"L’Iran a sa propre politique qui ne coïncide pas à 100% avec celle de la Syrie", analyse Camille Najm. Des études occidentales avancent que Téhéran userait d’un prosélytisme religieux pour étendre son influence sur le terrain, au détriment même de la communauté alaouite à laquelle appartient Assad.
Quoi qu’il en soit, la divergence géopolitique entre les deux alliés est surtout à replacer dans le cadre d’une nouvelle donne géopolitique régionale.
"Bachar el-Assad a conscience que, s’il s’enferme avec les Iraniens, il pourra tirer un trait sur son retour dans le giron arabe", résume Camille Najm.
Voilà ce qui incite le président syrien à trouver un point d’équilibre. Depuis plusieurs mois maintenant, les pays arabes reprennent le chemin de Damas avec un but très clair, rappelle notre intervenant: "Ils veulent se soustraire à l’influence iranienne." En effet, les pétromonarchies, Émirats arabes unis et Arabie saoudite en tête, verraient d’un mauvais œil l’implantation durable de milices iraniennes sur le territoire syrien. Après avoir déboursé plus de 105 milliards de dollars pour aider militairement et économiquement Bachar el-Assad au cours de la décennie de conflits, Téhéran entend récolter les dividendes de la paix. Une stratégie gagnant-gagnant pour Damas. En témoignent plusieurs rencontres entre responsables iraniens et syriens, des échanges centrés sur la reconstruction de la Syrie.
En Syrie, la Russie et l’Iran se partagent les dividendes de la paix
Une présence iranienne qui servirait de futur troc, "l’Iran est devenu une carte de négociation avec les Arabes, Bachar el-Assad se laisse draguer en attendant les offres", indique Camille Najm.
Ainsi, pour limiter l’influence des mollahs, Israël pourrait compter sur ses nouveaux alliés arabes.
"Les Arabes et les Israéliens marchent dans le même sens sur le dossier syrien. La future ouverture vers les pays arabes doit encourager à terme une normalisation entre Damas et Tel-Aviv", subodore le politologue.
La pérennité de la présence iranienne serait donc incertaine en Syrie: Bachar el-Assad jouant des oppositions entre les différents acteurs. "Pour Damas, l’Iran est à la fois une carte et un problème", conclut notre intervenant.
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