Les services de sécurité de l’enclave espagnole de Melilla ont fait face, mercredi 22 décembre, à un afflux massif de migrants d’un genre nouveau. Selon le quotidien La Razon, 80 jeunes marocains "âgés de 17 à 20 ans" ont escaladé le mur d’enceinte qui sépare le territoire de Melilla de celui du Maroc. Ces migrants sont en fait des appelés du contingent marocain, explique le journal espagnol en citant des sources à Melilla. Ils sont tenus de rejoindre les rangs des Forces armées royales en 2022 pour une durée de 12 mois.
Le spectre de la guerre
Le média espagnol annonce que 14 jeunes appelés ont réussi à entrer dans l’enclave, les autres membres de ce groupe ayant été repoussés par les services de sécurité. Le gouvernement marocain avait supprimé le service militaire obligatoire en 2006 mais a dû le restaurer en 2018face au manque de volontaires désireux d’intégrer les rangs de l’armée. Un certain engouement avait été constaté dès la première promotion en 2019, notamment auprès des jeunes femmes. Les conscriptions se sont ensuite arrêtées durant l’année 2020 à cause de la pandémie de Covid-19. Le 13 décembre 2021, l’opération de recensement des futurs 20.000 appelés a débuté dans le royaume pour une reprise du service militaire courant 2022. Il semble qu’une partie des jeunes âgés entre 19 et 25 ans ne souhaite intégrer les casernes. L’explication à ce rejet pourrait s’expliquer par le contexte armé au Sahara occidental, conflit qui a repris en novembre 2020. Bachir Mohamed Lahsen, professeur en sciences de la communication, spécialiste des questions africaines à l’université de Séville, explique à Sputnik que la promotion 2022 sera la première à être affectée dans cette guerre depuis les années 1980.
"De nombreux jeunes Marocains ne veulent pas être impliqués dans le conflit au Sahara occidental qui oppose l’armée du Front Polisario à l’armée marocaine. Je pense que certains ne sont pas convaincus par cette guerre tandis que d’autres ne veulent pas perdre la vie ou être blessés dans les pilonnages quotidiens des combattants sahraouis. Il est évident que la ligne de front au Sahara occidental n’est pas un endroit qui attire les jeunes. Surtout que les autorités marocaines imposent aux familles des soldats et à la presse un silence sur ce qu’il se passe sur la ligne de front", indique-t-il.
Le professeur de l’université de Séville souligne que "les conditions au sein de l’armée sont particulièrement difficiles et elles sont encore plus rudes dans les unités situées dans le mur de défense". Pour l’heure, il n’y a pas eu de réaction officielle des autorités espagnoles, tant à Melilla qu’à Madrid. "C’est un phénomène nouveau", relève Bachir Mohamed Lahsen.
"Ces jeunes espèrent certainement que le refus de passer son service militaire sera un argument accepté par l’administration espagnole pour obtenir le statut de réfugié. Je pense que les 14 jeunes qui ont réussi à entrer à Melilla seront bientôt reconduits vers le territoire du Maroc. Si les autorités espagnoles ne le font pas, ils pourraient servir de modèle et attirer d’autres jeunes vers les enclaves de Melilla et de Ceuta, alors la situation risque de devenir ingérable", anticipe Bachir Mohamed Lahsen.
Rabat ne peut pas se permettre d’être confronté à une vague de désertion de grande ampleur dans un contexte de guerre avec le Front Polisario et une situation sécuritaire très tendue aux frontières avec l’Algérie.
"Le Maroc et l’Espagne tentent de revenir à des relations plus sereines après plusieurs mois de crise. Si elle est mal gérée, cette affaire pourrait augmenter les tensions", précise Bachir Mohamed Lahsen.
Reste à savoir comment réagiront les associations espagnoles de soutien aux réfugiés et aux migrants. Leur implication dans cette affaire pour exiger la protection des appelés pourrait compliquer les choses.