Alors que les Camerounais se plaignent de plus en plus de la cherté de la vie et de l’inflation des produits de première nécessité, un nouveau débat est né dans le pays au sujet des nouvelles taxes contenues dans le projet de loi des finances 2022.
De nouvelles niches fiscales qui fâchent et suscitent des réactions diverses chez les défenseurs des droits des consommateurs comme, Alphonse Ayissi Abena, président exécutif de la Fondation camerounaise des consommateurs (Focaco).
"Le gouvernement camerounais à travers la loi de finances 2022, veut imposer des taxes véritablement injustes pour les consommateurs et les ménages camerounais. Nous demandons au chef de l'État de ne pas promulguer ces textes. Si ce n’est pas fait, en janvier nous allons appeler à des mouvements sociaux, des sit-in de protestation et nous allons tout faire pour empêcher cela", tempête-t-il au micro de Sputnik.
Au centre de la discorde, deux nouvelles taxes: d'abord, ledit projet de loi de finances introduit un autre régime d’imposition au Cameroun, à savoir le "régime des organismes à but non lucratif". Dans cette catégorie, figure "toute entité dotée de la personnalité juridique ou non, publique, privée ou confessionnelle, y compris les fondations, qui n’a pas pour but la recherche de bénéfices aux fins de distribution entre ses membres et dont l’activité n’est pas en concurrence avec celles réalisées par les entités à but lucratif". Il s’agit entre autres des "associations de toute nature, de droit ou de fait, les mutuelles, les clubs et les cercles privées". Le texte prévoit que si l'entité en question exerce une activité commerciale rentable, elle paiera 15% d’impôts sur le revenu majoré de 10% de centimes communaux additionnels. Si cette disposition suscite diverses réactions, c’est bien parce que les Camerounais dans leur immense majorité se regroupent dans les cercles privés ou clubs appelés "tontines". Il s’agit des associations ou regroupements de personnes qui mettent ensemble leurs épargnes. L’argent récolté à chaque rencontre est remis à l’un des membres et ainsi de suite. L’objectif étant pour beaucoup de réunir les montants nécessaires pour la réalisation de leur projet.
Dans le projet de loi de finances 2022, le gouvernement camerounais a aussi l’intention d’instituer une taxe sur les opérations de transfert d’argent. La base d’imposition de la taxe sur les transferts d’argent est constituée par le montant des sommes transférées ou retirées. "La taxe est liquidée de 0,2% du montant transféré ou retiré", indique le projet de loi de finances.
Des mesures sévèrement critiquées
Ainsi, sont concernées par cette taxe "les opérations de transfert d’argentréalisées par tout moyen ou support technique laissant trace, notamment par voie électronique, téléphonie mobile, télégraphique ou par voie de télex ou télécopie, à l’exception des virements bancaires et des transferts pour le règlement des impôts, droits et taxes". Seront aussi taxés "les retraits en numéraire consécutifs à un transfert d’argent effectué auprès des établissements financiers ou des entreprises de téléphonie mobile".
En attendant la promulgation du projet de loi par le Président de la République, de nombreuses voix s’élèvent dans l’opinion pour critiquer ces mesures et demander l’abrogation des dispositions. Dans un post sur les réseaux sociaux au sujet de la taxe sur les transferts d’argent, l’opposant Maurice Kamto critique une démarche qui vise "l’exclusion financière des populations démunies par l’accentuation du plafond des prélèvements et leur duplication tant sur les transferts entrants que ceux sortants".
"Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) constate ainsi pour le regretter une politique sociale du gouvernement actuel orientée vers la protection des plus nantis qui usent de l’argent du contribuable pour leur confort personnel. Il appelle donc au retrait pur et simple de cette disposition du texte de la loi de finances 2022", poursuit le président du MRC.
Dans une tribune libre sur Facebook, Jean-Michel Nintcheu, député de l’opposition, trouve "inacceptable, criminel et hallucinant d'exiger aux associations et tontines de disposer désormais d'une carte de contribuable en vue des prélèvements des taxes sur les tontines de ses membres et sur le capital mobilier par les services fiscaux. L'État ne doit pas faire la double imposition sur le même sujet. L'argent qui se retrouve dans les tontines a déjà été taxé quelque part".
"À défaut d'un retrait pur et simple de cette taxe sur les associations et tontines, les Camerounais doivent dire NON à cette nouvelle disposition fiscale. Prélever aux pauvres pour davantage enrichir les riches est moralement indécent", a écrit l’opposant.
L’élargissement de l’assiette fiscale
Si pour le moment, le vent de contestation s’est emparé des réseaux sociaux, le gouvernement n’a pas encore réagi pour clarifier les nouvelles dispositions fiscales objet de toutes les interprétations. Décryptant ces différentes mesures pour Sputnik, l'économiste Fabrice Fernand Fangwa s’interroge sur "l'opportunité pour le Cameroun de mettre une taxe sur les transferts d'argent par mobile"et relève que "le gouvernement serait à la recherche de nouvelles niches fiscales pour soutenir les différentes crises que traverse le pays".
"Nous sommes dans un contexte assez difficile marqué par les problèmes sécuritaires dans la partie septentrionale du pays et en zone anglophone. Trouver des poches de recettes supplémentaires est quelque chose de bénéfique pour l'État, certes, et à ce titre, ça peut se comprendre. Toutefois, c'est contre-productif parce que cela va réduire ou du moins ralentir l'utilisation du mobile Money dans les transactions de tous les jours", explique-t-il.
Quant au régime fiscal annoncé pour les associations à but non lucratif, il est important de préciser, souligne Fabrice Fernand Fangwa, que "nous avons malheureusement au Cameroun beaucoup d'organisations et tontines qui mènent des activités génératrices de revenus mais qui sont déguisées sous la forme d'association à but non lucratif. Et je crois que l'objectif de ce nouveau système fiscal spécifique à ces associations, c'est justement de récupérer l'impôt qui est ainsi indûment détourné par ses responsables. En plus, c'est tout ce qui est valeur ajoutée créée par des associations, réputée à but non lucratif qui fera l'objet d'une imposition", conclut l’expert.