L’Australie n’en a pas terminé avec les ruptures de contrats avec l’Europe. Trois mois après avoir déchiré l’accord signé avec Naval Group pour la construction de douze sous-marins d’attaque, Canberra a signifié à Airbus sa volonté de se séparer de ses MRH-90 Taipan. Depuis 2014, pas moins de quarante-sept appareils de cette variante de l’hélicoptère de transport NH90 sont en service dans les forces armées australiennes. L’appareil est produit par le consortium NHIndustries réunissant Airbus Helicopters, l'italien Leonardo et le néerlandais Fokker.
Une flotte trop souvent clouée au sol, au goût du ministre de la Défense, Peter Dutton. Vibrations au niveau du rotor, corrosion sur la version marine… Le tout, accompagné de difficultés d’approvisionnement en pièces détachées! À plusieurs reprises le Taipan a été dispensé de manœuvres sur l’île Continent. Des problèmes que rencontrent également la France et la Belgique sur leurs NH90. Mais, pour le ministre australien, la coupe est pleine: l’appareil n’est "pas fiable", ses problèmes "insolubles". Remisés avec seize ans d’avance sur le terme initialement prévu, les MRH-90 se retrouvent ainsi délaissés au profit de leur concurrent UH-60M de Sikorsky, plus connu sous le nom de Black Hawk.
Armement: l’Australie coupe-t-elle les ponts avec l’Europe?
Cet appareil américain est un "choix évident", estime Dutton. Le ministre souligne qu’il sera également "interopérable avec nos homologues et avec nos alliés". En tête de liste de ces alliés: les États-Unis, dont l’UH-60M reste la "plate-forme privilégiée".
Après un tel argumentaire, difficile de ne pas percevoir chez Canberra une volonté d’américaniser ses moyens militaires. Et ce malgré des critiques bien antérieures à la signature en septembre du pacte de défense Aukus. C’est même dans le cadre de ce contrat que l’Administration Biden a donné le feu vert à la vente par Lockheed-Martin de douze MH-60R Seahawk, déclinaison de combat maritime du Black Hawk, afin de remplacer les six Taipan de la marine australienne.
"Il y a une volonté politique de rupture, c’est évident", réagit auprès de Sputnik Pierre Conesa. S’il estime qu’il est difficile d’aller à l’encontre des choix stratégiques d’un pays, ce haut fonctionnaire passé par l’hôtel de Brienne regrette toutefois que les choix australiens soient aujourd’hui motivés par la menace de la Chine, brandie par Washington. "Cela participe d’une fabrication de l’ennemi chinois", diagnostique ainsi l’auteur de La Fabrication de l'ennemi (Éd. Robert Laffont, 2011).
"Je suis très étonné par ce discours sur la Chine. On a l’impression que celle-ci veut envahir le monde alors qu’elle a fait trois guerres depuis 1949 et que de notre côté [occidental, ndlr] nous en avons fait toute une “pâtée”… Mais c’est elle que nous accusons d’être agressive, développe l’énarque. Construire tout son équipement autour de l’idée qu’il y a un ennemi chinois, c’est une marche vers la guerre que je n’aime pas du tout."
La dimension politique serait d’autant plus prégnante que, selon le site Air & Cosmos, les deux appareils américains choisis par Canberra pour remplacer les Taipan sont "justement pointés du doigt année après année pour leur mauvais niveau de disponibilité" aux États-Unis.
Reprenant les données d’un rapport de l'organisme du Congrès des États-Unis chargé du contrôle des comptes, le site d’information aéronautique souligne que les Black Hawk et Seahawk "n'ont pas réussi à atteindre leurs objectifs de disponibilité une seule fois entre 2011 et 2019". Il n’est toutefois pas précisé si ces objectifs fixés par l’armée américaine, réputée pour son niveau d’exigence en la matière, correspondent à ceux de l’armée australienne.
Commande d’Apache en Australie, crash du Tigre en Europe?
Reste que l’Europe subit les conséquences de ces revirements australiens. Canberra était notamment le seul utilisateur de l’hélicoptère de combat EC665 Tigre, en dehors des trois pays impliqués dans son développement (France, Espagne et Allemagne). Or, en janvier 2021, le ministre australien de la Défense d’alors, a annoncé le remplacement de ses vingt-deux Tigre par 2vingt-neuf AH-64E Apache Guardian de facture états-unienne.
Le coup venait de loin, dans la mesure où, dès 2018, l’armée australienne préconisait son remplacement, chiffrant dans un rapport à pas moins de 34.000 dollars le coût d’une heure de vol sur un Tigre. Soit près de quatre fois plus que le montant promis par Airbus Helicopters… et son concurrent Boeing.
Au-delà de ce énième revers commercial, avec un pays situé à 17.000 kilomètres de Paris, le programme Tigre est en danger en Europe. En effet, alors que se profile la rénovation à mi-vie de l’appareil, la perte du débouché australien va rehausser la facture pour les trois pays restants. Or Berlin ne démord pas de son orthodoxie budgétaire et songerait à jeter l’éponge sur le Tigre au profit… de l’Apache. Un effet boule de neige en somme, au détriment du programme vitrine de la coopération militaro-industrielle européenne.