Tandis que le Financial Times a écrit que selon ses sources le gouvernement du nouveau chancelier allemand Olaf Scholz soutient Nord Stream 2, mais pourrait le bloquer en cas d’hypothétique conflit militaire entre la Russie et l'Ukraine, Sputnik a posé cette question à des experts dans le domaine, dont le directeur du Fonds russe de développement énergétique Sergueï Pikine qui a nié toute possibilité que le gazoduc ne soit pas lancé.
"La réalité n'a pas changé, l'Allemagne est intéressée par Nord Stream 2. Tant le gouvernement actuel que le précédent y sont intéressés, c'est un projet économique", explique-t-il.
En ce qui concerne les promesses des Occidentaux d’arrêter le lancement du gazoduc si la Russie entreprend des démarches "agressives" envers l’Ukraine, l’expert russe estime qu’il ne s’agit que de leur imagination, car la Russie n’a pas l’intention de se comporter agressivement envers un quelconque pays, ce qu’elle avait déjà souligné à maintes reprises. De plus, le Kremlin a précisé que l'Occident se sert de ces déclarations comme d'un prétexte pour déployer davantage d'équipements militaires et de forces de l'Otan près des frontières de la Russie. Ainsi, tous ces discours ne relèvent que du "combat politique", ajoute le directeur du Fonds russe de développement énergétique.
"Nord Stream [2, ndlr] ne sera pas lancé avant mai, peut-être même juillet. C'est-à-dire au moment où il faudra de nouveau remplir les stocks pour l'année prochaine. […] La seule chose qui pourrait empêcher le lancement de Nord Stream 2 serait le débarquement de Martiens sur Terre", ironise Sergueï Pikine.
Pour sa part, Vladimir Demidov, analyste international du marché des ressources et de l'énergie, a souligné que le gazoduc est tout d’abord important pour l’économie allemande.
"Je suis sûr qu'une fois que le nouveau gouvernement allemand aura pris conscience de l'aspect économique, il comprendra que l'arrêt du projet n'est pas bénéfique pour l'Allemagne."
En outre, il a estimé qu’il est "extrêmement improbable" que Nord Stream 2 soit arrêté ou suspendu.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles la certification du gazoduc pourrait traîner, l’analyste a supposé que la réponse se trouve dans les négociations derrière les rideaux.
"Je suppose qu'il y a un grand marchandage en cours sur ce projet, qui obtiendra quels droits une fois qu'il sera lancé. Comme je suis sûr qu'il sera lancé et que je ne crois pas non plus que les autorités de certification allemandes aient soudainement remarqué une erreur, à savoir que ce projet appartient à une société basée en Suisse. Cela ne se passe pas comme ça dans ce genre de projets. Des centaines de personnes travaillent jour et nuit sur des projets aussi importants et vérifient tout", explique Vladimir Demidov.
Il explique que, selon l’accord conclu concernant Nord Stream 2, l'Allemagne avait la possibilité d'influer sur le transport du gaz, "c'est-à-dire qu'elle pouvait fermer les robinets. Mais c'est tellement peu clair et vague. L'Allemagne ne peut tout simplement pas arrêter le transport du gaz. C'est techniquement impossible".
Pour cette raison, l’interlocuteur de Sputnik estime "qu’il y a des négociations détaillées, qui et comment peut influer sur ce gazoduc au cas où la Russie se comporterait soudainement de manière agressive, selon leur compréhension de cette interprétation".
"Les Allemands auront un niveau de vie plus bas"
Dans une conversation avec Sputnik, Igor Iouchkov, analyste du Fonds russe de la sécurité énergétique nationale, rappelle que le projet Nord Stream 2 est réalisé conformément à toutes les lois et exigences européennes et se trouve à l’étape de la certification, où les politiciens ne peuvent pas interférer.
"Les politiciens ne peuvent pas interférer, peu importe s’ils aiment ou non Nord Stream 2, une procédure bureaucratique est en cours où les préférences politiques ne comptent pas. Pour que les politiciens puissent arrêter Nord Stream 2, ils doivent changer les lois, car avec les lois actuelles, ils ne peuvent rien faire", détaille l’expert.
Il souligne que les Verts, qui étaient ardemment contre le projet quand ils étaient dans l’opposition en Allemagne, ont calmé leur intonation maintenant. Igor Iouchkov l’explique par le fait qu’ils sont désormais au pouvoir.
"Parce que si avant, en étant dans l'opposition, vous deviez critiquer tout ce que le gouvernement actuel soutient, maintenant que vous êtes vous-même arrivés au pouvoir, vous êtes responsable du consommateur allemand et de l'économie allemande […] et vous pensez déjà aux revenus de l'État."
Les Allemands se positionnent en tant que leaders de l'Union européenne et de ce fait ils sont responsables de la sécurité de l'approvisionnement pour toute l'Europe, "parce que Nord Stream 2 est plutôt un gazoduc pas à destination des consommateurs allemands, il passe principalement par l'Allemagne en transit". Il précise que maintenant ceux qui ont été dans l’opposition à Nord Stream 2 commencent à penser à cet égard, non pas comme l'opposition, mais comme la coalition au pouvoir".
De plus, l’analyste du Fonds russe de la sécurité énergétique nationale ajoute que les milieux d’affaires commencent également à venir voir le nouveau pouvoir et expliquent tous les désavantages pour tout le monde de la suspension du gazoduc.
"Il n'y aura pas d'emplois, les Allemands auront un niveau de vie plus bas et par conséquent ils ne voteront pas pour vous, car c'est sous votre gouvernement que leur qualité de vie s'est détériorée. Ils doivent aussi tenir compte de tout cela", relate l’expert au micro de Sputnik.
En évoquant la question de la certification, Igor Iouchkov estime que cette suspension liée au changement de certains documents illustre au contraire que le régulateur allemand est prêt à certifier le gazoduc et mener toutes les procédures à leur terme.
"Il n'y a pas de troisième option"
La crise énergétique qui a touché l’Europe et provoqué une flambée des prix des énergies peut-elle être atténuée avec le lancement de Nord Stream 2? Les experts questionnés par Sputnik ont exprimé leur doute que les prix retombent au niveau d’avant la crise.
"L'origine de la crise gazière en Europe est le manque du gaz supplémentaire. D'où peut-il venir? Il peut provenir de deux sources. Soit il s'agit de nouveaux volumes de gaz liquéfié. Pour qu'il apparaisse en Europe, les prix en Europe doivent être comme les prix asiatiques, et les prix asiatiques sont maintenant aussi élevés qu'en Europe... Ou bien ce gaz doit venir de l'Est, de la Russie, par le nouveau gazoduc Nord Stream 2. Il n'y a pas de troisième option", souligne le directeur du Fonds russe de développement énergétique Sergueï Pikine.
Il a ajouté que, selon ses estimations, tant qu'il n'y aura pas de nouveau volume de gaz, la situation restera la même. Elle ne changera pas jusqu'à la fin de la saison froide, ce qui signifie que l'Europe vivra dans cette nouvelle réalité où le prix du gaz reste autour de 1.000 à 1.200 dollars pour 1.000 mètres cubes.
Vladimir Demidov expose une vision similaire en ce qui concerne la crise du gaz en Europe. Les prix ne retomberont plus au niveau d’avant crise, prévient-il, mais ils devraient baisser avec le lancement du gazoduc. Il estime que les prix retomberont maximum à entre 500 et 700 dollars pour 1.000 mètres cubes, mais pas en dessous.
Et les sanctions?
Pour Vladimir Demidov, il est hors la question que de possibles nouvelles sanctions contre la Russie touchent Nord Stream 2.
"Vous pouvez constater qu'après la rencontre entre Biden et Poutine les sanctions [contre le gazoduc, ndlr] et la mention de Nord Stream 2 ont été retirées des sanctions qui sont en cours de préparation au Congrès américain. C’est le genre de marqueur qui montre que même si l'équilibre du pouvoir en Allemagne a changé, d'autres partis sont arrivés en tête, de plus le cabinet est complètement différent et ces gens ont une approche négative, au moins ils l’ont dit pendant l'élection, envers Nord Stream [2, ndlr], ils ont dit qu'ils l'arrêteraient. Je suis sûr que c'était du populisme, car de telles opinions sont présentes dans les masses, elles ont donc été utilisées pour entrer au parlement", détaillé-t-il au micro de Sputnik.
À son tour, le directeur du Fonds russe de développement énergétique a également avancé l’idée qu’il n’y a pas de place pour les sanctions dans les négociations sur Nord Stream 2.
"Dans le contexte actuel, je ne pense pas que quelque chose soit adopté [aux USA, ndlr] sous forme de sanctions supplémentaires. Les Démocrates eux-mêmes ont spécifiquement présenté un projet de budget militaire qui ne prévoyait pas de sanctions contre la Russie", rappelle Sergueï Pikine.
De même, Igor Iouchkov, du Fonds de la sécurité énergétique nationale, ne considère pas que les prix peuvent revenir au niveau d’avant crise et estime que le gazoduc devrait être lancé vers mai ou juin 2022. Pourtant, le lancement ou non de Nord Stream 2 n’était pas la seule raison de cette augmentation des prix à la base, rappelle l’expert.
"Il est difficile de séparer l'un de l'autre, car un certain nombre de facteurs disparaîtront également [vers l’été prochain, ndlr]. Par exemple, la production d'énergie éolienne a produit moins d'énergie tout l'été dernier que les années précédentes, sa propre production est en très forte baisse en Europe. D'ici l'année prochaine, les prix devraient baisser par rapport aux sommets atteints actuellement, mais ils resteront assez élevés, autour de 400-500 [dollars pour 1.000 mètres cubes, ndlr], même pendant l'été", conclut-il.
La flambée des prix du gaz
Les stocks de gaz russes et européens ont été fortement entamés par un rude et long hiver en 2020-2021. À la fin de l'été, le prix du gaz a fortement augmenté en Europe. Début août, les prix du gaz prévus pour les contrats à terme sur le marché néerlandais TTF étaient déjà d'environ 515 dollars pour 1.000 mètres cubes et, fin septembre, ils ont plus que doublé.
Le coût des contrats à terme du gaz pour janvier pour la semaine s'est consolidé au-dessus de la barre des 1.200 dollars pour 1.000 mètres cubes à la bourse de Londres ICE.
Le prix du contrat sur l'indice du hub TTF néerlandais a augmenté de près de 18% depuis le début de la semaine, de 1.050 dollars lundi à 1.230 dollars vendredi. Les prix n'ont pas été aussi élevés depuis octobre.