Manifestations au Maroc: deux raisons imbriquées face à "une démarche policière répressive"

Dans un entretien à Sputnik, l’économiste marocain Fouad Abdelmoumni évoque les raisons des manifestations populaires au Maroc, qu’il classifie en deux catégories: la dénonciation de la normalisation avec Israël et les revendications socioprofessionnelles des enseignants contractuels qui revendiquent leur intégration à la fonction publique.
Sputnik
Depuis quelques semaines, notamment après la visite le 24 novembre du ministre israélien de la Défense à Rabat, des manifestations populaires ont eu lieu dans plusieurs villes du royaume chérifien. Les plus récentes étaient organisées à l’initiative d’organisations pro-palestinienne pour dénoncer la normalisation des relations avec Israël et demander l’annulation de l’accord sécuritaire signé entre les deux pays. Cependant, d’autres manifestations avaient eu lieu auparavant pour des objectifs socio-économiques.
Pour faire le point sur les causes de ces mouvements populaires, leurs revendications et les raisons pour lesquelles ils ne sont pas couverts par la presse internationale, notamment occidentale, Sputnik a sollicité l’économiste marocain Fouad Abdelmoumni, également militant des droits de l’homme et membre du conseil d’administration de l’ONG Transparency International Maroc. Selon lui, "actuellement, il y a deux types de manifestations populaires au Maroc".

L’emploi, à cause "de contrats léonins et illégitimes"

"Il y a d’abord celles initiées par les jeunes candidats à l’embauche dans le secteur de l’Éducation nationale, qui contestaient auparavant le type de contrat sur la base duquel sont recrutés les enseignants actuellement", affirme M.Abdelmoumni, soulignant qu’en "ce moment, nous sommes à une moyenne de 15.000 enseignants recrutés par an avec des contrats que ces derniers considèrent comme léonins et illégitimes. Il en résulte, qu’actuellement, il y a environ 70.000 enseignants contractuels qui ne sont toujours pas intégrés dans la fonction publique et qui demandent leur intégration".
Et d’ajouter qu’"outre ces derniers, il y a surtout des centaines de milliers de diplômés qui attendent également d’avoir l’opportunité d’être recrutés et pour lesquels le ministère de l’Éducation nationale a annoncé qu’il plafonnait l’âge des candidats à 30 ans. Le ministère exige également des candidats d’avoir des mentions très élevées non pas dans leurs études universitaires mais ironiquement au baccalauréat. Il faut savoir qu’il y a des centaines de milliers de candidats qui ont déjà atteint cet âge limite ou qui pensent l’atteindre à la date à laquelle ils pourront candidater à un poste d’enseignant. Ces jeunes considèrent que certaines de ces conditions sont illégitimes, infondées et discriminantes".

Quid de la normalisation avec Israël?

Par ailleurs, l’interlocuteur de Sputnik explique que "le second type des manifestations est effectivement lié aux appels contre la normalisation des relations avec Israël, mais surtout contre la visite du 24 novembre, au Maroc, du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, lors de laquelle un accord-cadre de coopération sécuritaire et militaire a été signé entre les deux pays".
Et de rappeler que "ces manifestations ont réuni des dizaines de milliers de Marocains dans un très grand nombre de localités. Cependant, elles ont été souvent soit empêchées par des cordons de sécurité de la police nationale qui ont interdit l’accès aux lieux où elles devaient se dérouler. Soit carrément réprimées dans la violence, quand certains participants ayant pu accéder aux lieux de rendez-vous avaient réussi à les faire démarrer".
Dans les manifestations contre la normalisation des relations avec Israël, la majorité des organisations ayant appelé la population à participer, à l’instar de l’Observatoire marocain contre la normalisation, ont estimé que l’accord sécuritaire signé entre les deux pays était un danger certain pour le royaume et toute la région.
Ainsi, à la question de savoir si ces manifestations pourraient être commanditées de l’étranger, à l’image de celles du Printemps arabe, Fouad Abdelmoumni indique qu’"à ce moment, il n’y a aucun indice qui permettrait d’accréditer la thèse d’une manipulation venant de l’extérieur du pays. Certes, plusieurs pays ont exprimé leur réprobation envers la politique sécuritaire du Maroc et ses derniers accords signés avec l’État hébreu. Mais tous les slogans scandés pendant les manifestations sont marocains, bien que nous ayons dernièrement remarqué que les slogans anti-régime deviennent de plus en plus présents".

Pourquoi le silence de la presse internationale?

Enfin, concernant l’absence de traitement de ce qu’il se passe actuellement dans la presse internationale, M.Abdelmoumni estime que "probablement, le contexte mondial fait que certains évènements pourraient passer au second rang du traitement de l’actualité. Mais il y a également l’efficacité à court terme de la politique de muselage de la presse par l’État marocain. L’État marocain, dans sa nervosité à l’égard des médias ou des chancelleries, montre qu’il n’admet plus que ses déboires soient mis sur la place publique. Ceci a fait que beaucoup d’organes de presse ou de chancelleries préfèrent traiter ces questions avec beaucoup de précaution et de parcimonie. Nous sommes face à un État qui perd de plus en plus de sa superbe et de sa légitimité en se réfugiant dans une démarche policière répressive de premier rang".

En conclusion

Pour l’économiste, "en signant ces accords avec Israël, il est clair que le royaume perd une partie de son autonomie, à cause de l’implantation des services de renseignement israéliens dans le pays qui auront accès de plus en plus à des informations sensibles le concernant. Ceci en plus des tensions exacerbées dans la région où l’on entend de plus en plus d’appels à la confrontation ouverte avec le Maroc de la part des Sahraouis et d’une partie de l’establishment algérien. Les risques de voir les conflits de basse intensité dans la région se transformer en confrontations de moyenne intensité voir de guerre ouverte sont réels et inquiétants".
"Les tensions internes dans le pays, à cause de l’incapacité du gouvernement à répondre aux aspirations de larges pans de la société, ne peuvent pas ne pas monter crescendo avec le temps à cause de l’absence de perspective d’une embellie économique et sociale dans la situation des engagements actuels de l’État marocain", conclut-il.
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