Décidément pour les pays arabes, tous les chemins mènent à Damas.
Après la réouverture de la frontière syro-jordanienne, la visite du chef de la diplomatie émiratie dans la capitale syrienne, les déclarations égyptiennes sur le retour de la Syrie dans la Ligue arabe, c’est au tour du Président algérien de prendre parti pour le pays dirigé par Bachar el-Assad. Abdelmadjid Tebboune a suggéré que son homologue syrien pourrait revenir au sein de la Ligue arabe lors du prochain sommet, qui se tiendra à Alger en mars prochain.
"La Syrie est censée être présente", a déclaré le chef d’État algérien lors d’une interview télévisée. "Nous voulons que [la réunion, ndlr] soit inclusive et une rampe de lancement pour la réunification du monde arabe fracturé", a-t-il poursuivi. Même son de cloche du côté de son ministre des Affaires étrangères. Ramtane Lamamra avait pour sa part souligné le 10 novembre que "le siège de la Syrie doit lui revenir, sans aucune ingérence dans ses affaires internes".
Cette prise de position est également à replacer dans un contexte "d’apaisement et d’acceptabilité du régime syrien", analyse Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient. Depuis plusieurs mois, "les régimes du Golfe revoient petit à petit leurs politiques vis-à-vis de Damas", rappelle-t-il.
Alignement Moscou, Alger, Damas
Cette posture algérienne s’inscrit dans la durée. "Il y a une constance politique de la part d’Alger sur le dossier syrien", souligne le chercheur. Contrairement aux autres pays arabes, l’Algérie avait refusé de cautionner la suspension de Damas de la Ligue arabe en novembre 2011.
"Il y a toujours eu des relations diplomatiques entre les deux pays. La position algérienne s’est toujours appuyée sur un refus catégorique de toute ingérence étrangère sur les dossiers régionaux. L’Algérie privilégie ainsi une volonté de dialogue pour arriver à une sortie de crise", indique Brahim Oumansour au micro de Sputnik.
Même en plein conflit, Alger n’avait pas coupé ses liens diplomatiques avec le gouvernement syrien. D’ailleurs, Abdelkader Messahel, le ministre algérien des Affaires étrangères de l’époque, s’était même rendu dans la capitale syrienne en avril 2016. Lors d’une entrevue avec le Président Assad, il avait rappelé le "soutien de l’Algérie au peuple syrien dans sa lutte contre le terrorisme afin de préserver la stabilité et la sécurité de la Syrie et l’union et la cohésion de son peuple".
Ainsi, par son soutien affiché à Damas dans sa lutte contre le terrorisme, Alger s’était de fait aligné sur la position officielle de Moscou. "Ils font partie d’un axe commun, critiquant et s’opposant aux ingérences occidentales", analyse le chercheur de l’IRIS. En effet, la Russie entretient d’excellents rapports avec les deux pays. Comme en Syrie, le gouvernement russe avait soutenu l’armée algérienne dans son combat contre les terroristes. Depuis, les liens militaires n’ont eu de cesse de se renforcer. L’Algérie est le meilleur client du continent en matière d’armes russes. Alger acquérait en 2018 "la moitié des armes russes" exportées vers l’Afrique, rappelle le spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient.
Ainsi l’exemple de Moscou semble-t-il consolider les liens entre les deux pays arabes.
"La Russie cherche à rassembler un noyau dur autour de la Syrie et elle peut compter sur l’Algérie. Il y a une convergence des luttes. Néanmoins, ce n’est pas le facteur prédominant qui explique la bonne entente entre Damas et Alger", estime pour autant le chercheur associé à l’IRIS.
Ce partenariat bilatéral syro-algérien s’est également illustré dans le domaine militaire. En effet, dans le sillage de la guerre en Syrie, une brigade panarabe, la Garde nationale arabe(GNA) s’est impliquée auprès des troupes de Bachar el-Assad à partir de 2013. Des combattants algériens, tunisiens ou encore égyptiens ont fait jusqu’à Damas pour défendre un idéal nationaliste. Ces régiments de plusieurs centaines de combattants étaient entraînés par le commandement du Hezbollah. Par ailleurs, fidèle à sa logique de non-ingérence, Alger avait refusé de classer en 2016 le mouvement chiite libanais dans la liste des organisations terroristes. Un refus qui avait provoqué l’ire du Golfe.
Alger, Damas, même combat?
Mais si l’Algérie et la Syrie entretiennent de bonnes relations, c’est surtout parce qu’ils partagent la même conception de la lutte contre les islamistes: "il y a une proximité idéologique évidente entre Damas et Alger", résume le géopolitologue. Bachar el-Assad avait lui-même fait le lien entre la décennie noire en Algérie dans les années 1990 et l’actuel conflit syrien. "Les positions du peuple algérien en faveur de la Syrie ne sont pas surprenantes, car ce peuple a connu une épreuve presque similaire à celle du peuple syrien, qui fait face aujourd’hui au terrorisme", avait déclaré le Président syrien en 2013.
Plongé dans une guerre aux multiples ramifications, l’Algérie à l’instar de la Syrie d’aujourd’hui– a dû faire face aux combattants du Groupe islamique armé (GIA), du mouvement islamiste armé (MIA) et à ceux de l’armée islamiste du salut (AIS), soutenus officieusement par les monarchies du Golfe. Alger et Damas partagent également une conception nationaliste du pouvoir, opposé à l’islam politique: "les deux pays ont des sensibilités communes intrinsèques", précise Brahim Oumansour.
Damas pourrait également se servir de l’exemple algérien pour mettre fin à une décennie de conflit. À la fin des années 90, Abdelaziz Bouteflika, alors Président algérien, avait décidé,avec l’accord de l’armée et du Parlement, de signer la Concorde civile, un corpus de lois permettant la promulgation d’une politique d’amnistie pour les anciens combattants djihadistes.
"Les bonnes relations entre la Syrie et l’Algérie pourraient pousser le régime d’Assad à s’en inspirer envers les Frères musulmans*, les rebelles laïcs ou ceux d’obédience islamiste pour trouver un terrain favorable à une sortie de crise", avance Brahim Oumansour.
Toute proportion gardée, l’avenir de la Syrie pourrait donc se lire dans le passé de l’Algérie.
*Organisation terroriste interdite en Russie