Sommes-nous à la veille d’un renversement de la politique américaine en Syrie?
Voilà que Washington commence à faire machine arrière après avoir tout tenté ou presque pour renverser le gouvernement de Bachar el-Assad. La puissance américaine n’avait même pas reculé devant le financement, l’armement et l’entraînement de groupes djihadistes, tout en sanctionnant économiquement le pays pour l’isoler.
Rebondissement le 24 novembre: les États-Unis ont décidé d’alléger leurs mesures coercitives pour permettre aux ONG de traiter avec des éléments du gouvernement syrien. À compter du 26 novembre, elles sont autorisées à conclure de nouveaux investissements pour des activités à but non lucratif. "Le gouvernement américain donne la priorité à l’élargissement de l’accès humanitaire à toute la Syrie afin d’alléger les souffrances du peuple syrien qui continue de faire face aux conflits armés, à l’insécurité alimentaire et à la pandémie de Covid-19", a déclaré Andrea Gacki, directrice du Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC).
Les USA, un pas en avant, deux pas en arrière
Jusque-là, les organisations internationales en Syrie étaient obligées de contourner le système des sanctions américaines pour certaines transactions. Avec cette première mesure d’allègement, elles pourront désormais œuvrer en toute légalité. "C’est une première étape non négligeable", concède un membre du parti Baas syrien, qui a préféré garder l’anonymat.
"L’aide humanitaire est urgente en Syrie, cette mesure américaine permettra aux organisations étrangères de collaborer plus aisément avec la Syria Trust, qui centralise un peu toutes les ONG syriennes", nous explique notre interlocuteur, ravi de la tournure des évènements: "Cette mesure est à replacer dans une échelle plus large, celle de la politique extérieure américaine. On voit que les lignes commencent à bouger petit à petit."
Pourtant, Washington n’a pas totalement revu sa copie. "Les États-Unis continuent de se concentrer sur la dissuasion des activités malveillantes de Bachar el-Assad, de son régime, de ses amis et de ses complices étrangers, ainsi que des groupes terroristes, notamment en limitant leur capacité à accéder au système financier international et aux chaînes d’approvisionnement mondiales", a indiqué Andrea Gacki.
Les faits sont toutefois éloquents. Les exceptions discrètes, mais indéniables, au régime de sanctions commencent à s’accumuler: Pour contrer l’influence grandissante de l’Iran au Liban, Washington avait déjà autorisé, le 19 août dernier, l’Égypte à fournir du gaz à Beyrouth en passant par le territoire syrien.
Autre entorse: l’ouverture en octobre dernier du principal poste-frontière entre la Jordanie et la Syrie. En déplacement aux États-Unis en juillet dernier, le roi jordanien Abdallah II avait appelé son allié américain à desserrer l’étau des sanctions anti-syriennes pour permettre à nouveau à Amman de commercer avec Damas. Des pressions qui ont porté leurs fruits.
Les alliés arabes de Washington semblent donc inciter Washington à réajuster sa politique à l’égard de la Syrie: "même les alliés de Washington ne sont plus sur la même ligne qu’eux", observe notre interlocuteur.
"Les Américains doivent accepter leur défaite", estime l’homme politique syrien.
En effet, la visite à Damas le 9 novembre dernier du chef de la diplomatie émiratie, le cheikh Abdallah ben Zayed Al Nahyane, avait provoqué l’ire de Washington. "Nous sommes préoccupés par les rapports de cette réunion et le signal qu’elle envoie", avait alors déclaré le porte-parole du département d’État, Ned Price. "Nous exhortons les États de la région à examiner attentivement les atrocités que ce régime –que Bachar el-Assad lui-même– a commises contre le peuple syrien au cours de la dernière décennie", avait-il poursuivi.
Les sanctions américaines remises en question
Mais rien n’y fait, les partenaires régionaux des États-Unis n’hésitent plus à critiquer les mesures prises par le gouvernement américain. "La collaboration avec la Syrie est aujourd’hui confrontée à la loi César", avait ainsi déploré le chef de la diplomatie émiratie en mars dernier.
Entrée en vigueur en juin 2020, cette loi visait à isoler littéralement la Syrie, l’empêchant de commercer avec l’extérieur. Officiellement, les États-Unis avaient pris cette mesure pour contraindre Bachar el-Assad à négocier une "transition politique". En pratique, c’est tout le peuple syrien qui en a pâti.
"Le manque d’électricité, le manque de pétrole, le rationnement tout est lié aux sanctions. Sans parler de la hausse des prix qui a appauvri tout un peuple", s’insurge notre source locale.
Ainsi, la classe moyenne se raréfie-t-elle et la pauvreté touche environ 90% de la population. "Avant la guerre, la livre syrienne était à 500 pour un dollar, aujourd’hui elle est à 3.500", nous précise le responsable politique. En 2011, le salaire mensuel moyen des fonctionnaires syriens était de 20.000 livres syriennes, soit environ 400 dollars à l’époque. Malgré les récentes augmentations du gouvernement, le pouvoir d’achat des salariés a fondu à cause de l’inflation et de la dépréciation de la monnaie. Aujourd’hui, un employé de l’État touche 55.000 livres syriennes, mais cela ne représente plus qu’une quinzaine de dollars.
L’espoir demeure pourtant:
"On sait qu’avec le temps, les choses vont aller dans notre sens. Les Américains sont fiers, ils ne veulent pas avouer qu’ils ont eu tort avec cette guerre à outrance contre nous. Mais ils finiront bien par revenir sur leur décision, comme l’ont fait tous les autres", prédit le membre du parti Baas.