"Oui, le ministère espagnol de la Défense étudie les candidats possibles pour le remplacement des F-18 et des Harrier et a envoyé une demande d’informations sur les F-35A et F-35B au gouvernement des États-Unis."
Telle est la réponse adressée par la Dirección General de Armamento y Material au journaliste spécialisé Gareth Jennings. Le journaliste de Jane’s a reproduit la capture d’écran du courriel directement sur son compte Twitter.
Il faut dire que la position réelle de Madrid sur ce sujet fait débat depuis des semaines. Le 9 novembre, une porte-parole du ministère espagnol de la Défense avait martelé auprès de Reuters: "L’Espagne n’a pas l’intention d’acheter d’avions de combat F-35 aux États-Unis et reste attachée au programme européen SCAF [Système de combat aérien du futur, ndlr]."
Un démenti ferme, à la suite des révélations de Gareth Jennings, le 3 novembre, selon lesquelles Madrid aurait "manifesté officiellement de l’intérêt" pour l’acquisition de cinquante avions de combat de cinquième génération dont –seulement– la moitié de F-35B, la variante à décollage court et atterrissage vertical (STOVL). Révélations issues des confidences d’un cadre de Lockheed-Martin concernant les prospects européens les plus prometteurs de l’industriel yankee.
En Europe, Lockheed-Martin fait feu de tout bois
Cette information avait fait l’effet d’une bombe. L’Espagne est en effet engagée aux côtés de la France et de l’Allemagne dans le programme Système de combat aérien du futur (SCAF). En effet, si l’option du F-35B peut paraître appropriée pour remplacer les vieux McDonnell Douglas AV-8B Harrier décollant depuis le porte-aéronefs flambant neuf Juan Carlos I, l’intérêt porté par Madrid à la version à décollage conventionnel du F-35 afin de remplacer certains de ses Boeing F/A-18 Hornet a de quoi interpeller.
"Tout achat d’avion de combat, F-35A ou F-35B, vient en déduction du SCAF", met ainsi en garde le général de brigade aérienne (2s) Jean-Vincent Brisset auprès de Sputnik. Celui-ci ne voit pas une grande "cohérence" entre cet éventuel renouvellement des forces aéronavales espagnoles et la politique de défense du pays.
Le dossier est d’autant plus explosif que l’industriel américain met à la fois les bouchées doubles et les pieds dans le plat. Quitte à plonger Madrid dans l’embarras. Ainsi, à l’occasion d’une prise de parole publique au Dubai Airshow, le vice-président de Lockheed Martin a démenti la version officielle espagnole: "Malgré le démenti du ministère, Lockheed est toujours en pourparlers avec des responsables du gouvernement espagnol."
Dans ces propos rapportés par Aviation Week, on comprend que le sujet des F-35A a été amené sur la table par l’industriel américain. "Nous leur parlons également du F-35A", déclarait ainsi le cadre dirigeant du numéro un mondial de l’armement, après avoir réaffirmé son intention de profiter de l’aubaine du vieillissement des Harrier ibériques pour placer une commande de F-35B.
Toutefois, le général Brisset tient à relativiser les choses. Selon lui, une demande d’informations tient plus du réflexe que d’un intérêt réel. Surtout quand cette requête fait suite à un démarchage…
"À partir du moment où l’industriel a promis monts et merveilles et qu’il est en mesure d’en faire un communiqué de presse, on lui adressse une demande d’information pour se couvrir et ne pas être accusé de ne pas avoir tenu compte de l’offre."
Bref, ce qui a tout l’air d’une fuite organisée dans la presse pourrait donc viser à semer la discorde et la suspicion entre les partenaires européens. Par ailleurs, dans la mesure où le SCAF patine, la confirmation par Madrid de sa démarche de renseignements peut-elle être perçue comme une forme de pression sur Paris et Berlin? "C’est un coup de billard à cinq bandes", diagnostique notre intervenant.
Une chose est sûre à ses yeux: le lobbying de l’industriel de Bethesda survivra aux gouvernements espagnols et à leurs majorités parlementaires. Sur le Vieux Continent, onze pays dont neuf États-membres de l’Union européenne, ont déjà opté pour le chasseur américain.
Une chose est sûre à ses yeux: le lobbying de l’industriel de Bethesda survivra aux gouvernements espagnols et à leurs majorités parlementaires. Sur le Vieux Continent, onze pays dont neuf États-membres de l’Union européenne, ont déjà opté pour le chasseur américain.
La coopération européenne menacée par le F-35
Autre certitude pour notre intervenant: l’Espagne ne s’aventurera probablement pas dans une nouvelle commande d’Eurofighter Typhoon. Et ce quoi que disent aujourd’hui Madrid ou Airbus sur la participation historique des Espagnols au développement de cet appareil.
Pour preuve, de longs mois après l’annonce de négocations, rien n’a encore été formalisé entre Madrid et Airbus. Un enlisement qui a d’ailleurs fait l’objet de la seconde question adressée par le journaliste de Jane’s au ministère espagnol de la Défense. Ce dernier déclarant sobrement travailler "à la définition d’une nouvelle version de l’Eurofighter, appelé Long Term Evolution". Une "deuxième version" du chasseur européen sur laquelle Jean-Vincent Brisset émet de sérieuses réserves.
"S’il y a une machine qui n’est pas du tout possible pour l’Espagne c’est l’Eurofighter. Il n’y a pas d’espoir pour lui d’arriver en fin de vie après le Rafale F-5", tranche-t-il.
Pour l’heure, sur 175 avions de combat, l’Espagne dispose actuellement de 69 Eurofighter. Plus de cent autres appareils ayant été "modernisés d’une manière ou d’une autres", souligne notre intervenant, Madrid dispose ainsi "de temps" pour rafraîchir sa flotte. Une marge de manœuvre suffisante pour patienter jusqu’à la concrétisation du programme SCAF? La question divise les analystes…