Burundi: le général Évariste Ndayishimiye est-il en train de réussir son pari?

La Maison-Blanche a récemment levé les sanctions imposées au Burundi en 2015. Une décision qui laisse penser que le président Évariste Ndayishimiye est en voie de reconnecter son pays avec une partie de la communauté internationale qui le boudait. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
Sputnik
C’est une nouvelle que les autorités burundaises ont sûrement accueillie avec enthousiasme, le jeudi 18 novembre. Le Président américain Joe Biden a signé un décret mettant fin au programme de sanctions visant le Burundi depuis 2015. Par conséquent, les sanctions économiques administrées par l'Office of Foreign Assets Control (OFAC) du département du Trésor ainsi que les restrictions de visas imposées aux onze membres du gouvernement burundais désignés dans le cadre de ce programme ont été levées.
La décision américaine intervient moins de six mois après la levée des sanctions européennes contre le Burundi. La Maison-Blanche a justifié son action par les avancées démocratiques observées au Burundi. "Les États-Unis reconnaissent la transition du pouvoir suite aux élections burundaises de 2020 et les réformes poursuivies dans de multiples secteurs", peut-on lire dans un communiqué du département du Trésor américain, lequel affirme reconnaître "les progrès réalisés par le président Ndayishimiye dans la lutte contre la traite des personnes, les réformes économiques et la lutte contre la corruption." Tout en se montrant enthousiaste à l’égard du gouvernement burundais, Washington insiste sur l’amélioration de la situation des droits de l’homme dans le pays.
La décision des États-Unis constitue une avancée non négligeable pour le Burundi, qui a été mis au ban d’une partie de la communauté internationale, notamment des pays occidentaux, depuis 2015.
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Une situation des droits de l’homme toujours préoccupante

À l’époque, le prédécesseur de l’actuel chef de l’État burundais, le Président Pierre Nkurunziza, décédé le 8 juin 2020, avait décidé de briguer un troisième mandat "en violation des accords d’Arusha et de la Constitution de 2005", selon ses détracteurs. Cette décision avait précipité le Burundi dans une grave crise socio-politique et économique, laquelle s’était intensifiée après la tentative de putsch manquée de mai 2015 contre Nkurunziza. Des milliers de Burundais, y compris des gens réputés être proches du camp présidentiel, avaient pris le chemin de l’exil pour échapper à la violence du régime, qui n’avait pas hésité à réprimer ses détracteurs, provoquant par voie de conséquence des sanctions des États-Unis et de l’Union européenne.
Si cette époque semble révolue au regard de la décision prise par la Maison-Blanche la semaine dernière, il n’en demeure pas moins que la situation des droits de l’homme dans le pays reste préoccupante, si l’on en croit les Nations unies. Dans son dernier rapport, la commission des droits de l’homme de l’ONU fait observer que "l’espace démocratique reste fermé et la tolérance pour des avis critiques demeure limitée" en dépit de la nouvelle dynamique qui s’est installée entre le Burundi et la communauté internationale. Et la commission de souligner:

"Malgré certains gestes symboliques isolés dans le domaine des droits de l’homme, aucune réforme structurelle n’a été engagée pour améliorer durablement la situation. Des violations graves des droits de l’homme ont continué à être commises par des agents de l’État ou des Imbonerakure avec l’acquiescement des autorités, voire à leur instigation. L’état de droit poursuit son érosion progressive et les facteurs de risque de détérioration de la situation des droits de l’homme, qui ont certes évolué, demeurent globalement présents."

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Au regard d’un portrait aussi peu reluisant, on peut s’interroger sur le changement de ton adopté par les États-Unis, comme par l’Union européenne, à l’égard du Burundi. Surtout quand on sait que c’est au nom de la défense des droits de l’homme que ceux-ci ont imposé des sanctions au pays...

Miser sur l’homme et non le système

La décision de la Maison-Blanche peut aussi être perçue comme un signe de bonne volonté à l’égard d’un homme, le président Évariste Ndayishimiye, réputé être un modéré dans un écosystème dominé par les partisans de la ligne dure. Il faut dire que même si le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir, catalyse la colère d’une partie de la population et de l’opposition politique, il n’en demeure pas moins que l’arrivée du général Évariste Ndayishimiye a suscité une certaine lueur d’espoir dans le pays, mais aussi dans la communauté internationale.
À la différence de Pierre Nkurunziza dont la réélection pour un troisième mandat, en juillet 2015, fut dénoncée par les pays occidentaux, l’élection de Ndayushimiye fut, elle, accueillie sans critique de l’Occident, en dépit des irrégularités dénoncées par l’opposition et la société civile.
Le fait de n’avoir jamais été impliqué ou cité dans les affaires de violations des droits de l’homme, de crimes et de malversations semble avoir joué en faveur du nouvel homme fort du pays, et ce même si nombreux sont les Burundais qui estiment qu’il aura du mal à se défaire de la "tutelle" des généraux, et par-dessus tout du système duquel il est issu.
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Quoi qu’il en soit, tout laisse penser que le général Évariste Ndayishimiye est en train de réussir son pari de reconnecter le Burundi avec une partie non négligeable de la communauté internationale. Sans afficher une volonté de rupture avec le passé, son approche semble inscrire le pays dans une nouvelle dynamique diplomatique avec l’Occident. Pour l’heure, les purs et durs de sa famille politique, le CNDD-FDD, semblent avoir fait profil bas, laissant le chef de l’État manœuvrer à sa guise. À la grande satisfaction des États-Unis et de leurs alliés...
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