L’événement n’avait pas eu lieu depuis plus de cinq ans car Donald Trump avait aboli le sommet des "trois amigos", selon la formule utilisée. Le 18 novembre dernier, les leaders des trois pays signataires de l’Accord de libre-échange nord-américain se sont réunis à Washington pour faire le point sur leurs relations, dans un contexte marqué par la pandémie et une crise migratoire historique sur le continent.
Au programme donc: les migrations, les relations commerciales entre les trois pays, la sécurité, l’environnement et l’accès équitable aux vaccins, un dernier thème cher surtout à Mexico. Reste que "Dans ce genre de rencontre, le plus fort des trois gagne toujours", estime d’emblée André Sirois à notre micro.
Traduction: "Aujourd’hui, j’ai accueilli le Premier ministre canadien Justin Trudeau et le Président mexicain Andrés Manuel López Obrador pour un sommet des dirigeants nord-américains. Nous nous engageons à offrir un avenir meilleur à notre population et à créer les conditions de prospérité, de durabilité et de sécurité".
Divergences profondes en politique extérieure
Pour cet avocat auprès de l’Onu, le bilan de cette rencontre reste mitigé. Selon lui, seuls les États-Unis en ont tiré un quelconque avantage:
"Ce genre de réunion tripartie est piégé pour le Canada et le Mexique. Cette formule permet à Washington de dresser le Canada contre le Mexique et le Mexique contre le Canada. Le Canada et le Mexique auraient intérêt à tenir des rencontres bilatérales plutôt que de voir leurs échanges chapeautés par Washington."
Spécialiste des relations entre les États-Unis et le Mexique, Eduardo Rosales estime quant à lui que le sommet "arrive au mauvais moment", compte tenu des profondes divergences entre Washington et Mexico en matière de politique extérieure, mais aussi en ce qui concerne la transition énergétique et la gestion de la crise migratoire.
"Washington veut un plan pour contenir l’immigration, alors que Mexico n’est pas parvenu à l’endiguer sur son territoire et que les migrants mexicains continuent d’affluer, sans compter les milliers de Centro-Américains", explique le professeur de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM).
Eduardo Rosales rappelle que la participation du président cubain Miguel Díaz-Canel à la dernière cérémonie officielle du jour de l’Indépendance à Mexico, aux côtés du Président Lopez Obrador, a heurté la diplomatie américaine à la mi-septembre. Le président AMLO en avait profité pour exhorter les États-Unis à lever les sanctions contre Cuba.
"Je ne vois pas vraiment de gagnant de la rencontre. Il y a eu beaucoup d’attentes pour peu de résultats. […] En ce qui concerne les États-Unis et le Mexique, nous avons affaire à des pays marqués par de nombreuses différences, aussi bien en matière idéologique qu’en termes de ressources économiques et technologiques. Jamais les leaders ne sont parvenus à une véritable convergence de points de vue. Finalement, ce sommet aura surtout été un grand exercice de communication", analyse l’expert.
Officiellement, les trois dirigeants ont mis l’accent sur leur volonté de collaborer, mais certaines tensions sont apparues durant les réunions, selon plusieurs sources telles que Radio-Canada. Notamment en ce qui concerne l’industrie automobile.
Le protectionnisme américain, pomme de discorde
Mexico et Ottawa reprochent tous deux à Washington de soutenir une mesure protectionniste en planifiant d’accorder aux Américains un crédit d’impôt sur les véhicules électriques de fabrication américaine.
Cette disposition fait partie du programme à saveur sociale et environnementale "Build Back Better" (Reconstruire en mieux) de l’administration démocrate, programme que le Président Biden entend faire adopter d’ici peu à la Chambre des représentants. L’adoption du texte court a toutefois une chance d’être bloquée au Sénat. La vice-Première ministre et ministre des Finances du Canada Chrystia Freeland considère même que les incitatifs pour les véhicules électriques américains "constituent une violation du nouvel accord de libre-échange nord-américain".
De manière générale, André Sirois estime les États-Unis "peu disposés à faire des concessions" pour accommoder leurs deux partenaires, dans un contexte où le Président Biden voit sa cote de popularité décliner. Ottawa devrait davantage en tenir compte et revenir à son ancienne approche bilatérale, considère-t-il:
"Au Canada, il y a une longue tradition d’opposition à ces rencontres tripartites pour la simple et bonne raison qu’elles ne servent pas les intérêts du Canada. Ce fut d’ailleurs longtemps la position officielle du Parti libéral du Canada."
L’ancien haut fonctionnaire des missions de l’Onu et des tribunaux internationaux poursuit: "Les États-Unis ont le droit de défendre leurs intérêts, mais pour le Canada et le Mexique, ce n’est pas une raison pour se laisser avoir par une stratégie qui les affaiblit."
Compromis migratoire
Dans le dossier migratoire, la rencontre aura tout de même été marquée par l’engagement de l’administration Biden d’entamer une vaste réforme devant permettre de régulariser la situation de 11 millions de travailleurs mexicains en sol américain.
"Aucun autre Président n’a exprimé comme vous un compromis aussi clair pour améliorer la situation des migrants", a déclaré Andrés Manuel López Obrador en s’adressant à son homologue américain.
"Il n’y a pas de meilleure initiative que celle dans le domaine de l’immigration et nous allons observer le processus de cette initiative du Président Biden, dont nous nous réjouissons beaucoup", poursuit-il.