La tension continuer de monter à la frontière biélorusse où, ce 16 novembre, un policier polonais a eu le crâne fracassé dans des heurts avec les migrants qui s’agglutinent depuis le mois d’avril à la lisière de l’Union européenne. Estimés entre 2.000 et 3.000, principalement originaires du Kurdistan irakien, 13 d’entre eux auraient trouvé la mort depuis le début de la crise. Crise qui a poussé la Pologne et la Lituanie à
décréter l’État d’urgence depuis cet été.
Face à une Union européenne soudainement peu regardante sur le respect du droit international en matière d’asile, la perspective pour ces migrants de parvenir à fouler le sol européen s’amenuise.
Des manquements soulignés par les ONG ou certains partis politiques –comme le PS et EELV en France qui, à la veille de l’hiver, appellent à laisser a minima une aide médicale humanitaire accéder à cette "
zone d’état d’urgence" décrétée par Varsovie. Des manquements également condamnés depuis la Russie. Lors d’une conférence de presse, le ministre russe des Affaires étrangères a ainsi fustigé le "
comportement absolument inacceptable" des Polonais qui "
violent toutes les normes imaginables du droit international humanitaire".
L’UE à rebours de ses propres "valeurs", ne serait-ce pas là une première victoire morale pour le pouvoir biélorusse? Pour le journaliste Pierre Lorrain, spécialiste du monde post-soviétique, il est clairement le gagnant de ce bras de fer avec les Européens. "Plus on attaque le pays, plus on renforce Loukachenko", assène-t-il, soulignant l’absence d’opposition en Biélorussie: les pro-européens se sont exilés dans les pays limitrophes (Pologne et Lituanie en tête) qui les soutiennent financièrement et politiquement, tandis que les leaders de l’opposition pro-russe ont fini sous les verrous.
"Imaginez la population biélorusse subissant les conséquences des sanctions. Si aujourd’hui il y avait de nouvelles élections en Biélorussie, Loukachenko aurait ses 80% sans avoir besoin de tricher", raille notre intervenant. Les sanctions européennes, au-delà d’être un déni de diplomatie, constituent un élément fédérateur en faveur du pouvoir, selon notre intervenant, comme en Syrie, rappelle-t-il. Pour lui, le moment d’aller ainsi au conflit avec la Biélorussie est d’autant plus inopportun que le pays est à la veille d’une réforme constitutionnelle.
"Si l’Union européenne avait un ambassadeur digne de ce nom en Biélorussie, la situation serait certainement différente!", poursuit-il. [L'UE dispose d'une délégation de diplomates emmenés par un ambassadeur, dans la capitale biélorusse, ndlr.] Une reprise de dialogue avec Minsk qu’a d’ailleurs suggérée Sergueï Lavrov à son homologue européen. Éventualité
balayée par ce dernier, comme il le souligne dans une interview parue le 12 novembre dans le
JDD. Pour le diplomate en chef de l’UE, qui lui aussi prend pour exemple la Syrie, il faut sanctionner, renforcer la pression… tant sur la Biélorussie que sur la Russie.
"Pour la Syrie de Bachar el-Assad, on a sanctionné tout ce qui était sanctionnable. Mais le plus important est de faire pression sur ses alliés, et notamment la Russie", déclare le haut représentant de l’Union européenne qui explique qu’un cinquième train de mesures contre Minsk est déjà acté.
Accusée de contribuer à l’acheminement des migrants vers la Biélorussie, la compagnie aérienne russe Aeroflot serait également dans le collimateur de Bruxelles. Dans un autre registre, la concomitance de ces énièmes menaces européennes avec la suspension en Allemagne de la certification du gazoduc Nord Stream 2
afin que les Ukrainiens y participent a aussi de quoi interpeller.
"Discuter n’est jamais nuisible", concède toutefois le diplomate en chef de l’UE au journaliste français qui lui demandait pourquoi il "persistait à vouloir maintenir un dialogue avec la Russie". Un état d’esprit qui passe mal aux yeux de Pierre Lorrain qui tient à rappeler certains fondamentaux:
Dans la foulée de ces sanctions décrétées par Bruxelles, Washington a annoncé le 15 novembre travailler à l’élaboration de nouvelles mesures contre la Biélorussie. Mardi, Alexandre Loukachenko a assuré vouloir éviter que la crise migratoire à la frontière avec la Pologne ne dégénère en confrontation avec ses voisins européens. La veille, le Président biélorusse avait décrété vouloir faire rentrer "chez eux" les migrants campant à la frontière avec la Pologne. Des signes apparents en faveur d’une désescalade auxquels les Occidentaux n’entendent visiblement pas donner suite.