"La puissance militaire peut permettre de gagner une bataille, mais seule la force morale permet de gagner la guerre", soutient Tahirou Barry, paraphrasant une célèbre déclaration du général américain George Marshall.
Candidat aux deux dernières élections présidentielles (2015 et 2020) et ancien ministre de la Culture de Roch Kaboré, poste dont il a démissionné en octobre 2017, Tahirou Barry commentait pour Sputnik un appel qu'il a récemment adressé au Président burkinabè.
En effet, dans une lettre ouverte postubliée le 2 novembre sur son compte Facebook, il a invité le Président Roch Kaboré, en sa qualité de chef suprême des Armées, à "passer au moins une journée au front pour rassurer et remotiver" les soldats engagés dans la lutte contre le terrorisme.
"La forme de gouvernance qui consiste à rester dans des bureaux climatisés et salons feutrés tout en se contentant de lire des rapports est révolue. Le contexte sécuritaire actuel commande que les dirigeants et autres leaders soient sur le terrain pour constater eux-mêmes la vraie réalité et prendre les mesures qui s’imposent", déclare l’ancien ministre.
La situation sécuritaire "l’exige"
On constate ces dernières années au Burkina Faso une exacerbation de la crise sécuritaire qui se manifeste par la multiplication des attaques armées. Alors qu’en 2015, l’année des premiers incidents, seules quatre ont été recensées, on est passé à plusieurs centaines d’incidents par an à partir de 2017.
Plusieurs groupes, liés pour certains à Al-Qaïda*, évoluent dans le pays, le plus important étant sans doute le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Mais faute de revendications, les auteurs de ces attaques récurrentes sont baptisés HANI (hommes armés non identifiés).
La crise sécuritaire liée à ces attaques, mais également les tensions communautaires qu’elles favorisent ou attisent, occasionne de nombreux morts. À ce jour, il est estimé qu’environ 2.000 personnes ont déjà péri. Les victimes sont à déplorer du côté des forces de défense et de sécurité (FDS) certes, mais aussi et surtout du côté des civils qui paient de loin le plus lourd tribut, comme en témoignent notamment les incursions meurtrières de Solhan et de Yirgou qui ont fait pas moins de 200 morts.
Si aucune des 13 régions que compte le Burkina Faso n’est désormais épargnée par la menace terroriste, certaines -comme le Sahel et l’Est- sont particulièrement éprouvées.
Dans ces deux régions, les attaques, meurtres, intimidations, vols de bétail et autres exactions sont devenues quasi quotidiennes, et entraînent un déplacement massif des populations.
Les chiffres officiels évoquent 1,4 million de déplacés internes quand certains acteurs de l’opposition et de la société civile tablent sur près de deux millions. Quoiqu’il en soit, selon l’Onu, la crise humanitaire au Burkina Faso a la croissance la plus rapide au monde.
Fin octobre 2021, ce sont plus de 2.600 écoles qui étaient fermées sur toute l’étendue du territoire national, selon les autorités. Des fermetures qui concernent également plusieurs dizaines de formations sanitaires.
Dans ce contexte sécuritaire et humanitaire des plus alarmants, les forces de défense et de sécurité paraissent impuissantes, voire résignées.
"La situation actuelle est préoccupante, elle donne l’impression d’un manque d’anticipation et de réactivité opérationnelle des FDS, qui suppose un déficit de matériel. Voilà pourquoi au-delà des rapports qui lui sont faits, il est important que le Président Roch Kaboré se déplace à la rencontre des troupes pour toucher du doigt ce qu’elles vivent au quotidien sur le terrain", insiste Tahirou Barry.
Roch Kaboré a déjà quelques fois été à la rencontre des soldats, pour leur apporter son soutien moral. Ce fut notamment le cas en décembre 2016 après l’attaque de Nassoumbou qui a coûté la vie à 12 hommes, ou encore en juin 2020 à Djibo, grande ville du nord du Burkina Faso embourbée dans la tourmente djihadiste depuis 2018.
Mais ce que dit souhaiter Tahirou Barry, "ce n’est pas une présence de quelques minutes ou quelques heures du chef des armées aux côtés de ses troupes avec tout ce qu’il y a d’ordinaire comme dispositif protocolaire, mais plutôt une rencontre et des échanges directs avec celles-ci".
Après ces rencontres avec les FDS, il souhaite également que le Président burkinabè "visite les populations des localités particulièrement ébranlées par les agressions terroristes, aujourd’hui envahies par un sentiment d’abandon de l’État, pour les rassurer".
"Il ne faut pas perdre de vue que ces populations, du fait du désarroi et du désespoir dans lesquels elles baignent, sont des potentielles recrues pour les terroristes", prévient Tahirou Barry.
Et justement, selon le général de brigade Aimé Barthélémy Simporé, ministre de la Défense, la majorité de ceux qui attaquent le Burkina Faso sont des Burkinabè "qui ont fait le choix, consenti ou contraint, de rallier la cause des groupes armés terroristes".
Au Burkina Faso, pays pauvre, tous s’accordent à reconnaître le facteur économique qui pousse des citoyens à rejoindre le rang des groupes armés.
"Au-delà des réponses militaire et judiciaire à apporter pour résoudre la crise sécuritaire au Burkina Faso, il y a la réponse économique. Il faut que l’État travaille à créer dans les zones à fort défi sécuritaire les conditions d’un développement économique et social. Car comme on le sait tous, le terrorisme se nourrit aussi de la pauvreté, du chômage, des inégalités, de la fracture sociale, du déficit d’éducation", conclut Tahirou Barry.
*Organisation terroriste interdite en Russie