Sénégal: les tribulations des femmes qui cherchent leur place en politique

Dans l’univers impitoyable de la politique, Soham El Wardini, 68 ans, première femme maire de Dakar, tente de survivre à son poste alors qu’approchent des élections. Dans l’étau des jeux de couloirs et d’alliances, elle apparaît comme un symbole des barrières qui perpétuent la faible représentation des femmes dans les instances de décision.
Sputnik
Soham El Wardini est dans un flou total. Maire intérimaire de Dakar depuis septembre 2018, elle bataille et manœuvre dans les labyrinthes des coalitions politiques et électorales dont elle est membre pour arracher la possibilité de diriger une liste d’oppositionaux élections municipales de janvier 2022. Mais sa déclaration de candidature a été déclarée forclose par une commission ad hoc, ce qu’elle conteste. En sus, elle se heurte aux ambitions d’un concurrent de taille, Barthélémy Dias, qui semble avoir les préférences des deux parrains et pivots de la coalition nationale Yewwi Askan Wi ("Libérer le peuple"), Ousmane Sonko, président du parti Pastef, et Khalifa Sall, ex-maire de Dakar et chef de la sous-coalition dite "Taxawu Dakar". Mais Soham El Wardini, déterminée à faire respecter le processus du choix des candidats, exige une "saine concurrence".

"Je précise, encore une fois, que ceux qui parlent de forclusion versent dans l’erreur. Je suis légaliste et je respecte toutes les procédures liées à la charte de la coalition Yewwi Askan Wi. Le travail d’audition qu’on a entamé dans les communes de la capitale avec les différents candidats, c’est cela qui devait se poursuivre et qui devait prendre fin dans les villes (comme Dakar). Moi, j’attends toujours d’être auditionnée (par la commission d’investiture)", a-t-elle indiqué le 27 octobre au cours d’une conférence de presse transformée en meeting.

C’est dans ce contexte que le Caucus des femmes leaders du Sénégala investi Soham El Wardini comme "candidate des femmes" pour la ville de Dakar au scrutin de janvier 2022. La décision a été annoncée lors d’une randonnée pédestre organisée à cet effet le 24 octobre dans les artères de la capitale sénégalaise.

"C’était plutôt une marche pacifique de sensibilisation pour inviter les leaders des coalitions de partis à respecter les engagements qu’ils ont déjà pris de permettre aux femmes de diriger au minimum 10% des mairies du Sénégal, et les populations à voter massivement en faveur des listes dirigées par les femmes aux prochaines élections locales", explique Khady Gadiaga, experte en projets et programmes liés au genre et consultante en marketing stratégique et communication interrogée par Sputnik.

Le Caucus des femmes leaders du Sénégal est né en 2010, dans la foulée du vote de la loi sur la parité dans les institutions. Son objectif est d’"accroître la participation politique et la représentation des femmes" dans toutes les institutions et assemblées politiques "afin de promouvoir l’égalité de genre pour un développement durable". À ce titre, il est membre de plusieurs programmes internationaux, dont l’International Institute for democracy and electoral assistance (IDEA), en cours d’exécution dans huit pays africains.

"En dépit des efforts déployés pour booster leur représentation dans la vie politique, les femmes continuent d’être marginalisées dans les sièges politiques et dans la prise de décision dans l’espace politique et public", constate Khady Gadiaga.

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Loi sur la parité: une égalité plus quantitative que qualitative

Sur les 557 collectivités locales qui existent au Sénégal, seules 15 sont présidées par des femmes - soit un pourcentage de 2,69% - alors qu’elles représentent 47% des effectifs (des différentes assemblées des collectivités), déplore le Caucus. À l’Assemblée nationale, par contre, 43% des députés sont des femmes, une statistique qui place le Sénégal dans les premiers rangs dans le monde.

Donc, qu’on ne nous dise pas qu’il n’y a pas de femmes qui veulent être maires", s’est insurgée, pendant la marche du 24 octobre, la Pr Fatou Sow Sarr, présidente du Caucus des femmes leaders du Sénégal, enseignante-chercheuse en sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

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loi sur la parité votée en 2010 sur instigation de l’ancien Président Abdoulaye Wade, "aboutissement d’un long parcours de plaidoyers et de revendications" du Caucus des femmes et de plusieurs organisations féministes, a fait avancer la représentation des femmesdans certaines institutions, certes. Mais elle semble avoir révélé une autre face moins agréable à contempler.

"Cette égalité hommes-femmes est plutôt quantitative, pas encore qualitative. Il est regrettable de constater, par exemple, que celles qui ont été portées à l’Assemblée nationale ne semblent pas prêtes à poursuivre le combat car elles se sentent concrètement plus redevables à leurs partis. Entre la fidélité aux luttes des femmes et la loyauté à leur parti, elles ont choisi leur camp. Or, la parité n’est utile que si elle permet une transformation en profondeur de la société", se désole Khady Gadiaga.

Les élections municipales et départementales du 23 janvier 2022 avaient été reportées à plusieurs reprises alors qu’elles devaient avoir lieu en juin 2019. Elles sont considérées comme une étape importante avant les législatives de juillet 2022 et, surtout, la présidentielle de 2024.
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