Israël mettrait dans l’embarras les États-Unis. Allié inconditionnel de l’État hébreu, Washington a exprimé sa vive opposition au projet d'Israël de construire des milliers de logements dans les colonies de Cisjordanie. Mardi 26 octobre, le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a jugé cette perspective "totalement contraire aux efforts pour faire baisser les tensions et garantir le calme, et [cela] nuit aux perspectives de solution à deux États". C’est la première fois depuis l’avènement de la nouvelle Administration Biden que le ton monte entre les deux alliés.
Le même scénario que sous l’ère Obama?
"C’est la posture traditionnelle des Démocrates", souligne au micro de Sputnik Sylvain Cypel, ancien rédacteur en chef au Monde et spécialiste de la question israélienne:
"Hormis l’Administration Trump, qui était favorable à la colonisation, les États-Unis ont une position qui consiste à dénoncer d’un côté tout en laissant faire de l’autre. Ils ont toujours bloqué toute résolution onusienne hostile à la colonisation. Obama s’est simplement abstenu en fin de mandat."
Pour rappel, durant ses huit années à la tête des États-Unis, l’ancien Président démocrate clamait son souhait de parvenir à la résolution du contentieux entre les Israéliens et les Palestiniens. Aux uns, il avait demandé le gel de la colonisation et aux autres l’arrêt immédiat des violences. Résultat: ces deux mandats ont traversé deux guerres à Gaza et l’accélération de la colonisation à Jérusalem Est et en Cisjordanie. Obama a même augmenté l’aide militaire allouée à l’État hébreu avec une enveloppe de 38 milliards de dollars sur dix ans!
Joe Biden semble également impuissant dans ce dossier. Lors de la guerre express opposant Tsahal au Hamas en mai dernier, le Président américain s’est voulu discret avant de réaffirmer "son ferme soutien au droit d’Israël de se défendre contre les attaques à la roquette du Hamas et d’autres groupes terroristes de Gaza". Pendant le récent conflit, il a même approuvé la vente à l’armée israélienne de 735 millions de dollars d’armes à guidage de précision.
Mais, fait rare dans l’histoire des États-Unis, plusieurs voix se sont récemment élevées pour dénoncer la politique israélienne. Au sein de l’aile progressiste du parti démocrate, vingt-cinq élus condamnent fermement la politique de l’État hébreu. Ils demandent de suspendre l’aide militaire.
D'ailleurs, lors des affrontements au Proche-Orient, Bernie Sanders, sénateur démocrate du Vermont, avait écrit "Palestinian lives matter". Figures de proue de la lutte pour les droits des Palestiniens, Rashida Tlaib, élue du Michigan d’origine palestinienne, Ilhan Omar, élue du Michigan et réfugiée somalienne, et Alexandria Ocasio-Cortez, élue de New York, font partie de cette nouvelle génération de Démocrates qui n’hésitent plus à faire pression.
"Ça ne représente que 10%, mais c’est la première fois que ça arrive", fait remarquer Sylvain Cypel. On remarque "un début de distanciation au sein du parti démocrate".
Un phénomène nouveau qui serait néanmoins amené à s’affirmer avec le temps, selon l’auteur de L’État d’Israël contre les Juifs (Éd. La Découverte):
"Joe Biden est obligé de tenir compte de ce positionnement démocrate. Il y a également une poussée dans l’opinion américaine. Y compris au sein de la population juive. Il n’y aura probablement pas de changement radical à court terme, mais les lignes bougent petit à petit. Dans les universités américaines, le rejet d’Israël est massif."
Cette levée de boucliers est susceptible de retarder les décisions du Congrès. Alors que ce dernier s’apprêtait à voter une enveloppe d’un milliard de dollars pour qu’Israël puisse refaire le plein de missiles d’interception, un groupe de Démocrates a saboté les débats… pendant quarante-huit heures.
Israël envisage une solution militaire contre l’Iran
Mais c’est surtout les négociations sur le nucléaire iranien qui risquent de compliquer les rapports entre l’État hébreu et son allié historique américain. Joe Biden semble résolu à mener ces tractations à leur terme. Le successeur de Donald Trump n’hésite pas à adopter une posture trop conciliante aux yeux d’Israël, qui souhaiterait que, en cas d’échec des discussions, les États-Unis fassent planer la menace d’"une démonstration de puissance". En d’autres termes, qu’ils soient prêts à envisager une intervention militaire. De son côté, Tel-Aviv ne cache pas ses visées belliqueuses. Un budget de 1,3 milliard de dollars pour une éventuelle frappe contre l’Iran vient d’y être approuvé.
"Comme sous l’ère Obama, les relations se sont tendues avec Benyamin Netanyahou [ancien Premier ministre israélien, ndlr]. Le dossier du nucléaire conditionne le futur des relations entre les deux pays. Il est possible qu’un début de bras de fer puisse s’engager. Si accord il y a, ça placera Israël dans une position difficile vis-à-vis des États-Unis", conclut Sylvain Cypel.
Entre l’émergence d’une critique démocrate et l’importance du dossier du nucléaire iranien, l’alliance fraternelle avec Israël serait au creux de la vague outre-Atlantique.