Pourquoi Israël aide-t-il les agriculteurs d’un pays ennemi, le Liban?

© AFP 2024 JALAA MAREYUn militaire israélien surveille la Ligne bleue qui constitue la ligne de retrait d'Israël du sud-Liban (archive photo)
Un militaire israélien surveille la Ligne bleue qui constitue la ligne de retrait d'Israël du sud-Liban (archive photo) - Sputnik Afrique, 1920, 26.10.2021
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L’armée israélienne vient en aide aux agriculteurs libanais, touchés par la crise. Cette initiative ne serait pas sans arrière-pensée: tout comme au temps de la guerre civile, Israël chercherait à profiter de la déliquescence du Liban.
Israël a tendu la main aux agriculteurs libanais. Alors que les deux pays sont officiellement en guerre, l’État hébreu a décidé d’ouvrir temporairement ses frontières aux travailleurs agricoles de son ennemi. "À la lumière de la situation économique du Liban et en signe de bonne volonté envers le peuple libanais, l’armée a ouvert la frontière aux travailleurs agricoles d’al-Jabal, Aitaroun et Blida", stipule un communiqué de l’armée israélienne du 25 octobre.
De manière exceptionnelle, pour récolter des olives, les agriculteurs libanais vont pouvoir traverser la "ligne bleue". Elle délimite la frontière entre les deux pays après le retrait des troupes israéliennes du Sud Liban en mai 2000.

Israël mène une "politique des petits pas"

"C’est de l’humanitaire préventif", estime au micro de Sputnik Daniel Meier, chercheur associé au laboratoire Pacte et enseignant à Science Po Grenoble.
"Cela s’apparente à une opération séduction. On a ici des ingrédients tout à fait favorables pour ce genre d’initiative avec un État libanais totalement déliquescent. C’est une mesure opportuniste dans un contexte délétère qui définit le geste israélien comme étant un geste humanitaire."
Et c’est peu dire tant le Liban traverse une crise multisectorielle. Entre les pénuries d’essence, les coupures d’électricité, un système d’approvisionnement en eau au bord de l’effondrement, un salaire minimum qui a perdu 90% de sa valeur initiale, une inflation galopante et un personnel médical qui se raréfie, le pays est au bord du naufrage économique et sociale. Résultat: plus de 75% des citoyens vivraient sous le seuil de pauvreté. Une situation d’autant plus délicate pour les agriculteurs, "les populations agricoles étant très loin des préoccupations politiques". "Historiquement, ce sont les parents pauvres des catégories sociales au Liban", précise le chercheur.
Mais l’initiative "humanitaire" israélienne ne serait pas dénuée d’intérêt politique.
"Le nouveau gouvernement israélien est dans une ouverture tous azimuts avec les pays du Golfe, cette mesure s’inscrirait donc dans le cadre d’une politique des petits pas à l’égard du Liban. Il y a la volonté d’induire un début de changement", indique Daniel Meier.
Mais les Émirats arabes unis ou le Bahreïn, qui ont récemment normalisé leurs relations avec Tel-Aviv, ne sont pas le Liban. L’antagonisme israélo-libanais est plus profond, les relations bilatérales sont inexistantes. Avec le poids et l’influence du Hezbollah, la zone frontalière est même régulièrement disputée. Entre les tunnels, les installations militaires dans les villages limitrophes, Tsahal reste sur ses gardes.
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En août dernier, des affrontements ont eu lieu avec des échanges de tirs des deux côtés. Aussi bien l’armée israélienne que le parti chiite libanais redoutent une escalade incontrôlée comme en 2006. Cette guerre, dite de 33 jours, avait fait plus de 1.200 morts côté libanais, en majorité des civils, et 160 côté israélien, en majorité des militaires. Compte tenu de l’omnipotence du parti pro iranien dans les instances politiques libanaises, "ce n’est pas demain la veille qu’il y aura une reconnaissance, mais Israël compte tirer profit de l’affaiblissement structurel de l’État libanais", estime le géopolitologue.
En effet, depuis les événements du 14 octobre dernier qui ont vu de véritables scènes de guérilla urbaine en plein cœur de Beyrouth, le phénomène milicien a refait surface au Liban. Les partisans du Hezbollah, d’Amal et des Forces libanaises se sont affrontés dans les rues de la capitale. Cette escalade des violences a ravivé le spectre de la guerre civile. Moment opportun qu’Israël aurait choisi pour déplacer ses pions au pays du Cèdre.

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Mais, Ironie de l'Histoire. "Il y a un passif qui renvoie à la première tentative israélienne de satellisation territoriale d’une partie du Liban", précise le chercheur. Tel-Aviv s’était en effet ingéré au Liban par le biais également d’une initiative humanitaire. Au lendemain du déclenchement de la guerre civile de 1975 et face à un État libanais totalement exsangue, Israël avait proposé son aide à trois villages chrétiens à la frontière "pour leur fournir des médicaments et de l’eau et ainsi créer un premier cordon sanitaire", rappelle-t-il. Officieusement, il s’agissait pour l’État hébreu de créer une zone tampon pour éviter les attaques des Fedayins (combattants palestiniens) présents au Liban.
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La concrétisation de ce projet israélien au Liban a vu le jour en 1978 avec la première intervention militaire dans le sud du pays pour en chasser l’organisation de libération de Palestine (OLP. L’armée israélienne occupait près de 10% du territoire libanais. Mais c’est en 1982 que l’État hébreu a tenté de remodeler le Liban. Avec la seconde intervention intitulée "Paix en Galilée", Tel-Aviv a envoyé près de 100.000 soldats et 1.300 chars au Liban pour mettre la main sur la moitié du pays. Les troupes israéliennes étaient présentes jusqu’à Beyrouth. C’est à cette époque que le gouvernement israélien s’est également basé sur des supplétifs libanais. En effet, l’armée du Liban Sud (ALS), composée de chrétiens maronites, est passée sous les ordres de Tsahal pour lutter contre la présence des Palestiniens.

"On assiste à la réapparition des grilles de lectures du temps de la guerre civile libanaise. Le contexte est différent mais les lignes de fond semblent les mêmes. Israël saisit une opportunité vis-à-vis d’un État failli. On connaît la sensibilité d’Israël à l’égard de la sécurité de ses frontières", conclut Daniel Meier.

En raison du poids du Hezbollah, pas certain que cette fois-ci l’initiative humanitaire israélienne ne se transforme en gain territorial et politique.
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