L’ancien président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) se félicite du combat mené notamment par le MIR (Mouvement international pour les réparations) et le Conseil mondial de la diaspora panafricaine (CMDPA). Ces deux entités, ainsi que plus de soixante particuliers, ont en effet intenté un procès contre l’État français. Tous demandent "justice et réparations" pour les descendants d'esclaves, qui se disent victimes de la traite négrière et de l'esclavage. En effet, selon eux, les conséquences de l’esclavage sont encore bien visibles aujourd’hui en Guyane, à la Martinique et à la Guadeloupe.
Le procès s’est ouvert les 11 et 12 octobre dernier devant la Cour d’appel de Fort-de-France (Martinique). Si cette longue bataille judiciaire entamée en 2005 devrait trouver son épilogue le 18 janvier 2022, elle remet au cœur des débats une question qui anime une partie des ultramarins.
Un postulat que partage Louis-Georges Tin. Selon lui, l’État doit reconnaître ses responsabilités afin de permettre aux ultramarins de se réconcilier avec cette
histoire traumatique. "
C’est le processus en trois R: reconnaissance, réparation, réconciliation. Il n’y aura pas de réconciliation, s’il n’y a pas reconnaissance et réparation", estime l’auteur d’
Esclavages et réparation: comment faire face aux crimes de l’histoire (éd. Stock).
La loi Taubira du 21 mai 2001 reconnaît pourtant l'esclavage et la traite négrière comme un crime contre l'humanité. Il faut néanmoins aller plus loin, selon les plaignants. D’autant plus que certains propriétaires d’esclaves ont reçu à l’abolition des compensations financières pour leur perte. Le projet REPAIRS, mené par une équipe du Centre international de recherche sur les esclavages et les post-esclavages du CNRS, permet d’ailleurs de voir le nom des bénéficiaires et les
sommes perçues par les esclavagistes.
L’ancien garde des Sceaux jugeait en mai dernier que "ce débat est interminable parce que le crime en soi est irréparable, que personne ne peut ramener les vies perdues ni rembourser les générations de travail gratuit, donc pas de vanité: il n'y a personne sur terre qui soit capable de réparer ce crime-là".
Alors en quoi une éventuelle réparation pécuniaire pourrait-elle faire avancer les choses? "
Dans beaucoup d’affaires de crimes contre l’humanité par le passé, il y a eu des réparations", rétorque Louis-Georges Tin. "
Que ce soit pour un certain nombre de peuples autochtones aux États-Unis, que ce soit après la Shoah, que ce soit les Nippo-Américains emprisonnés pendant la Seconde Guerre mondiale. On a vu récemment les harkis, ce n’est pas un crime contre l’humanité, mais c’est un crime, monsieur Macron propose des réparations", poursuit notre interlocuteur.
Maître Patrick Baudouin, un des deux avocats de l’État, considère cependant qu’il y a prescription. "Ce sont des faits qui remontent à une période comprise entre le XVe et le XIXe siècle. L’abolition de l’esclavage remonte maintenant à plus de cent soixante-dix ans, il y a des prescriptions plus ou moins courtes, qui sont opposables, mais qui n’atteignent pas cent soixante-dix ans. Désormais, la prescription en matière civile est de cinq années", a-t-il rappelé au micro de France info.
Il a enfoncé le clou durant sa plaidoirie: "Si le crime contre l'humanité est imprescriptible, jusqu'où va-t-on? L'histoire est faite de massacres et de barbarie."
"Il y a l'épigénétique, c'est la dernière révolution", a d’ailleurs indiqué aux juges maître Evita Chevry, avocate pour le MIR. Cette science étudie l’effet de l'environnement sur les gènes. Selon les avocats, de récentes recherches permettraient d'expliquer la transmission génétique aux descendants des esclaves du traumatisme et des réactions liées au stress.
Reste à déterminer les modalités de réparation. Pour le militant antiraciste, cela pourrait être par exemple une réforme agraire, notamment "en Guyane ou à la Réunion, où il y a beaucoup de terre qui appartiennent à l’État". "Après l’esclavage, lorsque le système a été aboli, un certain nombre d’esclaves devenus libres sont devenus des paysans sans terre, l’État pourrait donc distribuer ces terres aux paysans sous diverses formes: collectivités, etc.", détaille Louis-Georges Tin. Une idée semblable à la promesse formulée par le général Sherman lors de la guerre de Sécession en 1865. Appelé "40 acres et une mule", le dispositif consistait à donner 40 acres (16 hectares) de terre à cultiver et une mule aux anciens esclaves. Il a été abandonné en automne de la même année. Autant dire qu’il est plus resté célèbre par son nom pittoresque que par son incidence réelle...
Les contours du dédommagement sont donc loin donc d’être tranchés. Mais, à travers le monde, les demandes de réparation se multiplient. En Belgique par exemple, un
groupe de septuagénaires métis a décidé de porter plainte contre l’État belge pour crimes contre l’humanité. Ils réclament une indemnisation de 50.000 euros par personne. Ou encore aux États-Unis, où le comité du Congrès a adopté en avril dernier un projet de loi afin de créer un groupe d’experts chargé de formuler des propositions concernant l’indemnisation des descendants d’esclaves.
Faudrait-il y voir les conséquences du mouvement Black Lives Matter sur les
questions mémorielles? Rien n’est moins sûr à en croire Louis-Georges Tin. À titre d’exemple, l’activiste rappelle que, en 2001, la conférence de Durban (Afrique du Sud) contre le racisme, organisé par l’ONU, avait déjà pour objet la réparation.