C'est par ces mots que le chercheur en sciences politiques Aristide Mono interprète l'interruption mouvementée d'un meeting du Premier ministre camerounais. Arrivés dans le Nord-Ouest, mardi 5 octobre, afin d'évaluer la mise en œuvre des résolutions prises au terme du grand dialogue national tenu en 2019, pour mettre un terme à cette crise,
Joseph Dion Ngute et sa délégation ont été accueillis par des tirs à balles réelles de combattants séparatistes.
En effet, alors que le Premier ministre démarrait à peine sa visite de quatre jours dans cette région, des tirs en rafale se sont fait entendre à Matazem, dans le Nord-Ouest où il était en train de prononcer un discours. Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux et largement commentée dans les médias, on voit Joseph Dion Ngute exfiltré par les éléments de sa garde et conduit à son véhicule au milieu d’une foule apeurée à la suite du crépitement des armes.
Aucune victime n'est à déplorer et rien n'indique encore qu'il s'agissait d'une attaque qui visait le Premier ministre. Toutefois, les groupes séparatistes avaient bien annoncé quelques jours avant leur intention de perturber le séjour du chef du gouvernement dans la région.
Alors que dans les discours officiels Yaoundé évoque très souvent un retour progressif à la normale dans cette partie du pays, cet incident, pense Dr David Eboutou, spécialiste en histoire des relations internationales et analyste politique, "est un signal fort envoyé par les séparatistes au représentant du Président de la République".
Cabral Libii, député de l’opposition, réagit à la suite de l'incident qui s'est produit.
Malgré cet affront qui l'aurait pris pour cible,
Joseph Dion Ngute poursuit sa visite de travail, qui doit s’achever le 8 octobre dans le Nord-Ouest séparatiste. Une mission principalement axée autour de l’évaluation de la mise en œuvre progressive des résolutions du grand dialogue national. En effet, au cours de l’été 2019, alors qu’il était acculé de toutes parts par la communauté nationale et internationale, le Président Paul Biya avait convoqué un "grand dialogue national" (GDN), du 30 septembre au 4 octobre à Yaoundé, pour résoudre la crise en cours.
Au chapitre des principales recommandations, ce grand dialogue national avait opté pour l’accélération de la décentralisation, déjà prévue dans la Constitution de 1996. Un choix qui écartait de fait le fédéralisme demandé par plusieurs personnalités anglophones présentes aux assises de Yaoundé. Et comme cachet particulier à cette option, le GDN a également abouti à l’octroi d’un statut spécial pour les deux régions séparatistes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Un statut qui leur garantit "le respect du système éducatif anglophone et la prise en compte des spécificités du système judiciaire anglo-saxon".
Si, à Yaoundé, l’heure est à la mise en place de ces recommandations, sur le terrain des opérations, l’impact sur la résolution du conflit demeure marginal au vu des récents événements. Pour des analystes comme Aristide Mono, il est nécessaire d’organiser des pourparlers plus inclusifs, car "le GDN portait en lui les germes de son échec. Ça a été une initiative d'une seule partie au conflit qui a géré ces assises de manière monopolistique: l’agenda, le casting des participants, l’ordre du jour, la conduite des échanges et la prise en compte des recommandations à mettre en œuvre ont été gérés à l’insu de l’autre parti à savoir la communauté revendicatrice anglophone en général et les séparatistes armés en particulier".
Une lecture partielle, selon David Eboutou, qui pense qu'il faut:
Pour rappel, en 2017, les séparatistes anglophones ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour revendiquer la création d’un territoire indépendant. Les tensions avaient auparavant commencé en novembre 2016 sous la forme de revendications corporatistes: des enseignants déploraient la nomination de francophones dans les régions anglophones et des juristes désapprouvaient la suprématie du droit romain au détriment de la Common Law anglo-saxonne. Dans ces territoires où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux protagonistes.