"Il y a une main étrangère derrière l’armement" des séparatistes au Cameroun

© Photo Pixabay/ Daniel6DFusil d'assaut
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Ces derniers jours ont été marqués par d’importantes pertes humaines dans les rangs de l’armée camerounaise, engagée dans le conflit séparatiste de l’ouest anglophone. Au moins 15 militaires ont perdu la vie en une semaine. L'usage d'un armement à gros calibre consacre, selon un spécialiste, une nouvelle phase dans la guerre.
L’armée camerounaise est-elle en déroute face à la nouvelle force de frappe des séparatistes armés dans le conflit qui déchire l’ouest anglophone du Cameroun? C’est ce que pourraient laisser croire les récentes pertes en vies humaines et matérielles infligées par les combattants armés sur le terrain des opérations. Jeudi 16 septembre, au moins dix militaires camerounais ont été tués dans une nouvelle attaque perpétrée par des séparatistes anglophones dans le Nord-Ouest du pays, d'après des sources locales. Selon un communiqué du ministère de la Défense rendu public le 20 septembre, "un convoi du sixième bataillon d’intervention rapide [Unité d’élite de l’armée camerounaise, ndlr] a été la cible d’une embuscade de terroristes lourdement armés" dans l’arrondissement de Ndop, une localité du Nord-Ouest séparatiste.

"À l’aide d’un engin explosif improvisé (EEI) et d’un lance-roquettes antichar (LRAC), les insurgés ont immobilisé les véhicules des forces de défense avant d’ouvrir un feu nourri sur ces derniers, sérieusement incapacités par la déflagration des charges explosives", poursuit le communiqué.

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"Des jonctions avec d’autres groupes terroristes"

Dans des vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux quelques heures après les échauffourées, les combattants séparatistes qui ont revendiqué cette attaque exultent devant les blindés en feu de l’armée. Un fait tragique qui intervient quelques jours seulement après une autre embuscade. Dans la matinée du 12 septembre, une autre attaque à l’EEI avait visé un convoi militaire dans la région du Nord-Ouest, faisant au moins sept morts dans les rangs de l’armée, d'après des sources locales.
Le bilan établi par l'armée pour ces deux attaques fait état quant à lui "d’une quinzaine de morts de soldats et de plusieurs civils tués, ainsi que de trois véhicules endommagés".
Un bilan qui inquiète, surtout au vu de la puissance de feu dont ont fait montre ces combattants séparatistes. Pour le ministère de la Défense, l’usage d’un armement sophistiqué par les bandes armées découle de liaisons avec d’autres groupes armés dans la région.

"Il importe de relever que les services de renseignement ont établi avec certitude que la montée en puissance de ces groupes terroristes, de par l’armement de gros calibre dont ils disposent et font systématiquement usage, découle en grande partie de leur jonction avec d’autres entités terroristes opérant hors des frontières de notre pays", affirme le porte-parole de l’armée dans son communiqué.

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Si le communiqué du ministère de la Défense n’apporte pas plus de précisions sur les groupes armés étrangers en question, le Nigeria - avec qui le Cameroun partage près 2.000 kilomètres de frontières - a souvent été cité comme base arrière des combattants séparatistes camerounais où ils sont soupçonnés de se ravitailler en armements. D’ailleurs en août dernier à Abuja, les représentants des deux pays se sont rencontrés pour revisiter leur stratégie de défense commune, dans un contexte marqué par la montée des crises sécuritaires. Le Président nigérian Muhammadu Buhari avait réaffirmé le soutien de son pays dans le conflit séparatiste au Cameroun, soulignant que "le territoire nigérian ne sera jamais utilisé comme base arrière par des mouvements terroristes pour déstabiliser un État souverain".

"C’est un armement qui ne court pas les rues"

Au-delà des jonctions possibles entre les séparatistes et les bandes armées dans une région déjà sujette à plusieurs crises, le colonel Didier Badjeck, ancien chef de division de la communication au ministère de la Défense, analysant pour Sputnik l'armement utilisé par les combattants séparatistes, précise que "c'est un armement qui ne court pas les rues. Ces groupes disposent des grenades offensives, de lance-roquettes. Vous savez très bien que le marché des armes dans le monde est codifié et que des armements aussi sophistiqués ne sont pas à portée de mains".

"Jusqu’aujourd’hui, il est tout à fait mystérieux de savoir comment ces gens s'approvisionnent. Comment est-ce qu'ils sont entraînés? Car même pour utiliser cet armement, il faut un minimum d'entraînement. Et ces entraînements ne se font que grâce aux instructeurs. Avec toute la réserve, à l’aune des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, les armes utilisées dans cette attaque ne viennent pas de l'Afrique. Et il me semble qu’elles ne viennent pas non plus du stock libyen dont on dit qu’il alimente toutes les menaces sur le continent. […] Je ne vais peut-être pas parler d’une puissance étrangère mais il y a une main étrangère derrière ce ravitaillement et ça ne peut pas être que le fait des activistes anglophones de la diaspora", poursuit le spécialiste des questions de sécurité au cabinet Cameroon consulting and prospective.

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Depuis le début de ce conflit meurtrier, les chiffres officiels font état de quelque 1.200 soldats morts sur le théâtre des opérations dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun. Sur l’évolution de la force de frappe des séparatistes, le colonel Didier Badjeck, compare avec le début du conflit, marqué par l'usage d'armes "rustiques", quand "les groupes armés étaient dans le maquis".

"Aujourd'hui, ils ont un matériel qui est conséquent et il faudrait donc changer de paradigme. On est maintenant dans une guerre frontale et je crois que l'armée va utiliser des moyens lourds […] Il faut commencer à traiter ces bandes comme une armée conventionnelle. Cependant pour gagner ce type de conflit, il faut beaucoup plus user du renseignement. Malheureusement, nous constatons qu'il y a beaucoup de complicité au sein de la population, ce qui rend les choses compliquées", se désole le spécialiste des questions militaires.

En 2017, les séparatistes anglophones ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour revendiquer la création d’un territoire indépendant. Les tensions avaient auparavant commencé en novembre 2016 sous la forme de revendications corporatistes: des enseignants déploraient la nomination de francophones dans les régions anglophones et des juristes désapprouvaient la suprématie du droit romain au détriment de la Common Law anglo-saxonne. Dans ces territoires où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux protagonistes.
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