Suspension d’une ONG humanitaire au Burkina: un drame de plus pour 1,4 million de déplacés
Le gouvernement burkinabè vient de suspendre les activités du Conseil norvégien pour les réfugiés, l’une des plus importantes ONG humanitaires opérant dans le pays, accusé de discréditer ses actions. Une décision qui devrait rajouter une couche à la situation déjà périlleuse de près d’un million et demi de déplacés internes.
SputnikDans un courrier daté du 27 septembre, adressé notamment aux gouverneurs de régions, le ministère de l’Action humanitaire, accusant le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) de "jeter le discrédit" sur le gouvernement burkinabè, a annoncé la suspension, "jusqu'à nouvel ordre" des activités de l’ONG dans les sites accueillant des personnes déplacées.
Joint par Sputnik, le NRC n’a pas souhaité réagir à cette mesure sans précédent, mais assure "travailler avec le gouvernement à résoudre la situation le plus rapidement possible". Même son de cloche au ministère de l’Action humanitaire, qui s’est abstenu de tout commentaire supplémentaire.
"Lenteur et insuffisance"
Tout est parti d’un
communiqué publié le 13 septembre dans lequel le NRC, présent au Burkina Faso depuis 2019, alertait sur la
"lenteur et l’insuffisance de la réponse humanitaire, qui oblige les populations à choisir entre l’insécurité ou la faim".
"Les autorités gouvernementales chargées d'enregistrer les déplacés peinent à gérer un nombre toujours croissant. Depuis juin, les organisations humanitaires ont explicitement demandé que l'enregistrement et le partage d'informations se fassent dans un délai d'une semaine. Il faut actuellement plusieurs semaines avant que les familles nouvellement déplacées puissent recevoir une assistance telle que de la nourriture et un abri", avait indiqué l’ONG.
Pour le gouvernement burkinabè, cette sortie du Conseil norvégien pour les réfugiés devait certainement sonner comme une volonté manifeste de le discréditer et de "saper les innombrables efforts fournis par l’ensemble des acteurs dans la réponse humanitaire".
Contacté par Sputnik, le responsable d’une ONG locale opérant dans la région du Centre-Nord, qui abrite de nombreux déplacés, a souligné "qu’indépendamment de qui a tort ou raison entre les deux parties, l’absence du NRC aura un impact certain sur le terrain".
Au sujet de la situation qui prévaut dans cette région, mais également dans une bonne partie du pays, cet acteur humanitaire déclare:
"Nous enregistrons quasi quotidiennement des arrivées de déplacés. Il faut se l’avouer, le gouvernement semble dépassé, mais cela se comprend parfaitement vu l’ampleur de cette situation inédite qui nécessite absolument une synergie d’actions des autorités burkinabè ainsi que des partenaires humanitaires locaux et internationaux", a-t-il expliqué.
Aussi, estime-t-il "qu’il convient qu’une solution soit trouvée au plus vite afin que le NRC revienne apporter sa pierre à l’édifice".
L’épicentre de la crise humanitaire au Sahel
Depuis 2015, le Burkina Faso est sous le feu récurrent de groupes djihadistes venus pour la plupart du Mali. Ceux-ci ont entrepris, surtout à compter de 2017, d'orienter leurs actions dans ce pays voisin où ils ont trouvé un terreau propice, face à une armée burkinabè souvent en difficulté et qui n’a pas la maîtrise de son territoire.
Tant les
forces de défense et de sécurité, les civils, que les
communautés religieuses sont indistinctement les cibles de ces groupes armés qui auraient, pour nombre d’entre eux, des
origines locales.
Selon le NRC, pas moins de 480 civils ont péri lors d’attaques entre mai et août 2021. La plus sanglante d’entre elles, qui a touché en juin le village de Solhan, dans le nord, a fait officiellement 132 morts (des autorités locales ont évoqué un bilan plus lourd).
La pression des djihadistes et leur apparente liberté d’action ont fait naître chez les populations un sentiment de résignation et d’abandon qui s’est accentué avec le temps et se manifeste par leur fuite massive vers des zones où elles se sentent plus en sécurité.
Le Conseil national de secours d'urgence et de réhabilitation (Conasur, structure publique à vocation sociale et humanitaire) évalue le nombre actuel des déplacés à 1,4 million, soit 6,36% de la population totale du Burkina Faso.
La région du Sahel, qui occupe la partie septentrionale de l’Afrique de l’Ouest, connaît ces dernières années la détérioration humanitaire la plus fulgurante au monde, avec le Burkina Faso comme fer de lance. Les besoins humanitaires dans ce pays pauvre sont énormes. Et cela, sans compter la résurgence des menaces sanitaires dont le Covid-19, la rougeole, la poliomyélite, et plus récemment le choléra dont des foyers ont été détectés dans la région de l’Est.
Autant de faits qui soulignent l’urgence à agir dans ce pays qui fait figure de dernier verrou avant l’accès aux pays côtiers voisins comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, inscrits
depuis longtemps à l’agenda de groupes terroristes.