Sénégal: Après le Grand Magal, Touba reste avec ses inondations

Le Magal de Touba, événement annuel qui célèbre le départ en exil forcé du fondateur du mouridisme, a été clôturé le 27 septembre. Après le départ des centaines de milliers de pèlerins, cette ancienne bourgade devenue deuxième ville du Sénégal doit faire face à de nombreux défis dont la récurrence des inondations et leurs lots de sinistrés.
Sputnik
Ce n’est pas un ultimatum, mais on n’en est pas loin: au cours de la cérémonie officielle de clôture du Magal de Touba ce 27 septembre, le porte-parole du calife général (chef religieux) de la puissante confrérie des mourides, Serigne Bassirou Abdou Khadre Mbacké, a insisté sur l’urgence pour le gouvernement de résoudre, avant la prochaine édition prévue en 2022, les deux grands tourments de la ville. À savoir la pénurie d’eau et paradoxalement… les inondations. En face de lui se tenait le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, lui-même disciple mouride.

"La pénurie d’eau à Touba et le problème des inondations sont (…) les grandes préoccupations du calife qui exhorte, par ma voix, le gouvernement à y apporter des solutions idoines et pérennes pour soulager ainsi les populations ainsi que les pèlerins qui viennent à Touba", a résumé le porte-parole et président du comité d’organisation de cet événement annuel.

Le Magal de Touba, qui s’est tenu le 26 septembre, commémore chaque année le départ en exil au Gabon d’Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme, sur décision du pouvoir colonial français au Sénégal. Avec le temps, cette ancienne bourgade rustique fondée en 1888 par le marabout, est devenue un centre urbain en perpétuel développement, même si les stigmates de sa ruralité n’ont pas entièrement disparu. Avec son million d’habitants, Touba, située dans l’ouest, est la deuxième ville du pays, s’étendant sur 513 km2. Mais les problèmes d’inondation qui l’assaillent chaque hiver et leurs lots de sinistrés, cumulés au casse-tête de l’assainissement, énervent le calife, Serigne Mountakha Mbacké, petit-fils du fondateur et chef suprême de la confrérie. D’où l’"ultimatum" lancé par son porte-parole. Mais les choses ne sont pas si faciles que cela.

"Touba, au-delà d’un symbole religieux et sacré, est devenu un pôle de référence bien concret, notamment d’investissement immobilier, des mourides du monde entier. Mais reste à savoir si les ˝marabouts urbanisants ˝" (…) sont capables d’élaborer un nouveau modèle de gestion urbaine face à une croissance que rien ne semble devoir ralentir", lit-on dansTouba, la capitale des mourides, ouvrage de l’universitaire et géographe sénégalais Cheikh Guèye.

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Rattrapé par la modernité, le fief des mourides doit composer avec des contraintes réelles, comme celle de devoir accueillir "3 à 4 millions de personnes", selon les organisateurs, au cours du Magal annuel étalé sur plusieurs jours. En dépit d’une multitude de programmes de lutte et d’assainissement censés éradiquer les inondations, sans compter les projets portés par Touba Ca Kanam, une "association apolitique à but non lucratif" proche du calife et dont l’objectif est d’œuvrer au développement de la ville suivant les principes de son fondateur, les défis restent toutefois immenses.

"Le boom démographique est une vraie pression sur la ville, certes. Néanmoins, les lourdeurs administratives et la faible collaboration entre les intervenants eux-mêmes comme l’Office national de l’assainissement du Sénégal, Touba Ca Kanam et la commune, sont à prendre en compte", souligne Ousseynou Seck, interrogé par Sputnik. Il est chargé de la planification et de la formation à l’Agence régionale de développement (ARD) de Diourbel, la région à laquelle Touba est rattachée.

"Touba, une croissance que rien ne semble devoir ralentir"

Aujourd’hui, la ville est dans tous ses états, bénéficiant d’un statut d’extraterritorialité qui laisse une grande marge de manœuvre aux autorités locales et en premier lieu au calife, défenseur des intérêts fondamentaux de la communauté. Dans le domaine immobilier, les grandes bâtisses sortent de terre à une vitesse vertigineuse et sont souvent la propriété de ressortissants et disciples mourides établis aux quatre coins de la planète, de petits et grands hommes d’affaires locaux qui font tourner une puissante économie informelle à l’échelle du pays et de la sous-région ouest-africaine. Une réalité qui exige une gouvernance révolutionnaire ou réformiste.
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"Au niveau communal, la municipalité doit avoir le courage de restructurer certaines zones durement touchées [par les inondations, ndlr]. S’il est nécessaire de [faire] déguerpir des populations entières et de les reloger dans des zones habitables, d’éviter les lotissements dans des zones non aedificandi, il faudrait le faire. En même temps, il est souhaitable que l’État veille au maximum à respecter ses engagements financiers pour une synergie efficace entre tous les intervenants" dans les programmes et projets de la ville, suggère Ousseynou Seck.

En attendant, plusieurs infrastructures modernes et fonctionnelles vont faire le bonheur de la population. La dernière en date est le Centre hospitalier national Cheikh Ahmadou Khadim, inauguré le 18 septembre par le Président Macky Sall au côté du calife. Un joyau bâti sur 10.000 m2 avec une capacité originelle de 300 lits pour un coût annoncé de 36 milliards de francs CFA (environ 54,878 millions d’euros) et réalisé par une entreprise française. Sur un autre espace, l’université Ahmadou Khadim devrait ouvrir ses portes courant 2023 avec un budget prévisionnel de 37 milliards de francs CFA (environ 56,402 millions d’euros). Des investissements qui ne laissent pas de marbre le chef de l’État sénégalais.

"Ce que j’ai réalisé ici à Touba, aucun autre régime n’a eu à le faire", à lâché le Président Sall, rarement élogieux envers lui-même, du moins en public.

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