Sénégal: le renflouement de l'épave du "Joola", ultime combat des familles des victimes

© AFP 2024 HODes civils et militaires sénégalais participent à une cérémonie au cimetière commun de Kantene où sont enterrées les victimes du bateau Joola
Des civils et militaires sénégalais participent à une cérémonie au cimetière commun de Kantene où sont enterrées les victimes du bateau Joola - Sputnik Afrique, 1920, 27.09.2021
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En dépit des indemnités que l’État sénégalais a encore distribuées à la veille du 19e anniversaire de la tragédie du naufrage du bateau Le Joola, les rescapés et descendants des 1.863 morts et disparus estiment que seul le renflouage du navire constituerait une thérapie collective pour soigner leur traumatisme.
Les rescapés et descendants des victimes du Joola ont commémoré le 26 septembre le dix-neuvième anniversaire du naufrage de ce navire qui assurait les liaisons entre Dakar et Ziguinchor, dans le sud du Sénégal. Disparu au large des côtes gambiennes, au moins 1.863 personnes ont été déclarées mortes ou disparues selon un bilan officiel. Aujourd’hui, en dépit des efforts fournis par les autorités sénégalaises visant à satisfaire les doléances des familles des victimes, une revendication fondamentale demeure: le renflouage de l'épave.
"C’est notre grand chantier, l’élément essentiel grâce auquel nous pourrons enfin commencer une thérapie collective car le traumatisme est plus vivace que jamais", explique Élie Diatta, chargé des affaires juridiques de l’Association nationale des familles des victimes et rescapés du Joola (ANFVR/Joola), interrogé par Sputnik.
Élie Diatta est au cœur des négociations entre l’Anfvr/Joola et l’État concernant la matérialisation des accords conclus entre les deux parties. Son frère, Michel Diatta, a disparu dans la tragédie de cette nuit du 26 septembre 2002 avec 27 mineurs âgés de 10 à 15 ans qui étaient inscrits dans son école de football à Ziguinchor.
"C’est de chez nous que Michel et ses gosses avaient pris le départ pour Dakar. Ça fait dix-neuf ans que nous pleurons et souffrons sans arrêt. Moi, j’ai toujours l’impression que le naufrage a eu lieu aujourd’hui, maintenant. Nous avons l’impression que nos parents emportés par la tempête parlent encore avec nous, qu’ils nous supplient de les tirer des fonds marins. Seul le remorquage de l’épave nous soulagerait définitivement ", ajoute-t-il par téléphone depuis Ziguinchor.
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Point délicat de cette affaire, le renflouement du Joola, a été furtivement évoqué par le ministre des Forces armées, Me Sidiki Kaba, présent à Ziguinchor ce 26 septembre pour présider la commémoration de l’événement. Mais il ne semble pas être une priorité immédiate pour l’État sénégalais qui, depuis plusieurs années, défend la thèse de la "complexité" d’une telle opération.
"Le gouvernement a bien pris en compte les autres préoccupations auxquelles des réponses seront apportées conformément aux dispositions réglementaires (…) Il s’agit notamment du renflouement de l’épave du Joola, de la détermination des responsabilités juridiques et administratives du naufrage, du vote d’une loi instituant le 26 septembre ˝journée du souvenir˝ des naufragés du Joola".

Argent, projets, mémorial…

L’État sénégalais semble plus disposé à agir sur d’autres éléments du dossier. Quelques jours avant la date anniversaire du naufrage, plusieurs dizaines de millions de francs CFA ont été distribués à des centaines d’orphelins et d’ayant-droits. Les montants vont de 800.000 francs CFA (environ 1.220 euros) à plus ou moins 2 millions de francs CFA (environ 3.048 euros), suivant l’âge. En outre, informe Élie Diatta, 10 millions de francs CFA (15.240 euros environ) ont été remis à l’ANFVR/Joola pour l’entretien des cimetières où reposent les corps qui ont pu être retrouvés. Certains proches de victimes ont commencé à bénéficier d’une réinsertion socioprofessionnelle, en particulier dans les services du ministère de la Culture et à travers des projets financés par l’État.
"Malgré les efforts louables du gouvernement comme la mise en place effective de l’Office national des pupilles, certaines victimes refusent de prendre tout argent car ils sont dans l’idée que leurs frères, sœurs, cousins, pères ou mères vont revenir. C’est une dimension mentale très ancrée chez eux, et elle est plus forte que l’argent", souligne Élie Diatta.
À mi-chemin entre le projet hypothétique de renflouement de ce qui reste du navire et les programmes de prise en charge des personnes impactées par le naufrage, la réalisation du Mémorial Musée Le Joola, à Ziguinchor, pourrait constituer un palliatif. L’infrastructure, confiée à l’entreprise Eiffage Sénégal, devrait être livrée courant 2022 après un retard de plusieurs années dû à "un problème foncier".
"Son inauguration, qui devrait coïncider avec la commémoration du 20e anniversaire, sera très certainement une étape marquante dans le respect du devoir de mémoire", a annoncé Sidiki Kaba.
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Cette année, le thème retenu pour célébrer la tragédie du 26 septembre 2002 est: "Naufrage du Joola et gestion de la pandémie: l’irresponsabilité se poursuit". En une "invitation à adopter (…) des comportements citoyens afin de prévenir tout risque sanitaire et sécuritaire préjudiciables à notre survie et de préserver l’État de droit et les valeurs républicaines qui nous garantissent la paix, la prospérité et la sûreté dans notre société", a plaidé Me Kaba.
Commémorée sans emphase ces deux dernières années, la tragédie du Joola fait face, en 2021, à la rude concurrence médiatique du grand Magal de Touba. Le hasard des calendriers grégorien et hégirien a imposé la date du 26 septembre comme jour commun de célébration de ces deux événements exceptionnels.
"C’est la propagation du coronavirus qui a eu un impact négatif sur nos activités. Par esprit de responsabilité, nous avions choisi de démobiliser les gens pour éviter les rassemblements qui pouvaient être une menace pour toutes ces familles que nous sommes censés protéger. Mais aujourd’hui, tout le monde est de retour", se réjouit Élie Diatta.
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