«Une décision sans précédent». C’est en ces termes que Claude Chollet, président de l’Observatoire du journalisme (OJIM), qualifie l’annonce du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ce mercredi 8 septembre. Le régulateur demande désormais aux médias de décompter le temps de parole d’Éric Zemmour. Le polémiste a beau ne pas s’être (encore) déclaré candidat pour la Présidentielle, le CSA a considéré qu’«au regard des récents développements, Éric Zemmour pouvait être regardé dorénavant, tant par ses prises de position et ses actions, que par les commentaires auxquels elles donnent lieu, comme un acteur du débat politique national». Une décision qui ne doit rien au hasard, pour Claude Chollet:
«Le CSA prend de plain-pied une décision politique, en pleine connaissance de cause qui plus est. Au fond, le CSA est un instrument assez docile, qui rend des services.»
Le régulateur semble avoir été (entre autres) sensible aux arguments du député écologiste Matthieu Orphelin. Dans une lettre adressée au CSA le 2 septembre dernier, le transfuge de LREM avait demandé la suspension des chroniques d’Éric Zemmour sur CNews. «Qu’il profite de son statut de chroniqueur pour disposer d’une telle visibilité médiatique en précampagne est une première en France. Cela ne peut pas perdurer», expliquait-il ainsi.
Concrètement, il s’agira pour les médias audiovisuels (le CSA n’est pas compétent sur les contenus diffusés en ligne) de décompter les interventions d’Éric Zemmour «portant sur le débat politique national», et non sur l’ensemble de ses propos. Les prises de position de l’essayiste seront ainsi portées au crédit des «divers droite», afin de procéder ensuite à un rééquilibrage du temps de parole.
Dans un entretien donné à L’Opinion le 2 juin dernier, Stéphane Séjourné, eurodéputé LREM, suggérait déjà de «décompter le temps de parole» d’Éric Zemmour. «On ne sait pas si Éric Zemmour est dans le champ politique, s’il va se présenter à une élection, s’il fait campagne pour quelqu’un», relevait alors le conseiller politique d’Emmanuel Macron. «On peut dire, sans craindre de se tromper que le CSA obéit, tout simplement. Le CSA, c’est la “Censure Sous Astreinte”!», raille Claude Chollet.
CSA, la «Censure Sous Astreinte», selon Chollet
Dans un communiqué intitulé «Censure: le CSA prend désormais le relais des juges», diffusé sur son compte Twitter ce mercredi 8 septembre, Éric Zemmour a assuré qu’il ne «taira pas» malgré la décision du régulateur. «Comme éditorialiste, j’ai toujours pris des positions d’ordre politique. […] Je dispose, en cette qualité, de la carte de presse n° 57111, qui protège ma liberté d’opinion et d’expression en toutes circonstances», se défend l’essayiste. Un argument parfaitement recevable pour Claude Chollet, qui rappelle que la prise de position est «très exactement le travail de tous les éditorialistes».
«Par définition, un éditorialiste ne fait pas de l’analyse ou de l’information; il exprime une opinion qui correspond à son engagement», souligne le président de l’Observatoire du journalisme.
Dans un entretien donné au Figaro le 27 janvier dernier, le président du CSA, Roch-Olivier Maistre, soulignait que la «mission première» du régulateur était de «garantir la liberté d’expression et la liberté éditoriale des médias». «Le CSA n’est pas le tribunal de l’opinion», clamait M. Maistre, qui écartait ainsi la possibilité de décompter le temps de parole des commentateurs politiques.
Zemmour en précampagne?
Un revirement qui «n’a rien d’étonnant», si l’on croit Claude Chollet:
«Le CSA est capable de tancer Pascal Praud pour “manque de pluralisme”; en revanche sur France Inter, jamais rien! C’est pire que du deux poids, deux mesures: c’est l’injustice sous couvert de justice. Le CSA est supposé être un organisme impartial, chargé de veiller au pluralisme dans les médias. En l’occurrence, il fait exactement le contraire», fustige le président de l’OJIM.
De son côté, le régulateur du PAF refuse d’évoquer le terme de «censure» et assure que les positions de son président «n’ont pas évolué, alors qu’Éric Zemmour, oui». Selon Le Parisien, le CSA s’est fondé sur trois points différents pour prendre sa décision: les intentions de votes créditées à Éric Zemmour dans différents sondages (entre 7% et 8%), la campagne d’affichage dans les rues et ses déclarations sur la chaîne YouTube Livre Noir, dans lequel il évoque à demi-mot la possibilité d’un engagement plus direct dans l’arène politique.
Dans un entretien donné à Nice-Matin le 3 août dernier, le polémiste allait même jusqu’à affirmer que seuls «des éléments matériels, les 500 signatures requises, les moyens financiers» pourraient l’empêcher de se porter candidat pour 2022.
Décompte du temps de parole plus souple pour Macron en 2017
Quoiqu’il en soit, l’annonce du CSA intervient au pire moment pour Éric Zemmour. Le prochain livre du polémiste, La France n’a pas dit son dernier mot, sort en librairie paraître le 16 septembre. Plusieurs rendez-vous médiatiques étaient déjà planifiés: l’émission de Laurent Ruquier «On est en direct» le 11 septembre sur France 2, une interview par Pascal Praud sur CNews le 13 septembre ou encore un entretien avec Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV le 15 septembre. «Tout ceci sera décompté de son temps de parole!», s’exclame Claude Chollet. «Tout cela est fait pour ruiner la sortie du nouveau livre d’Éric Zemmour, qui devait faire la tournée des médias pour le présenter. Zemmour semble inquiéter très vivement en raison de son succès grandissant», poursuit notre interlocuteur.
Au moment de la campagne de 2017, l’hebdomadaire Marianne avait par ailleurs calculé qu’en quatre mois, BFMTV avait retransmis quatre cent vingt-six minutes de discours de M. Macron au cours de ses meetings, contre quatre cent quarante minutes pour ses quatre principaux adversaires réunis. Pour ce qu’il en est du «pluralisme politique» promis par le CSA, une infographie réalisée par Libération montrait qu’entre le 5 avril et le 10 juin 2021, seuls 3% d’invités d’extrême droite (RN, Philippot, De Villiers) étaient reçus sur la matinale de France Inter, contre 25% d’invités divers gauche et plus de 40% d’invités du centre et de centre-droite.
«Il y aurait plutôt quelque chose à faire sur le plan déontologique pour faire en sorte que le service public arrête de soutenir le système médiatique libéral-libertaire du 1er janvier au 31 décembre», souffle Claude Chollet.
La nouvelle pourrait en tout cas être lourde de conséquences pour CNews. La chaîne de Bolloré réalise des audiences historiques grâce à l’émission «Face à l’info», dans laquelle Éric Zemmour intervient quotidiennement. Un record de saison à 704.000 téléspectateurs, soit 4,4% du public, a même été franchi ce mercredi 8 septembre. Selon les informations du Parisien, la chaîne a pour le moment décidé de laisser le polémiste à l’antenne, en attendant de lui trouver un éventuel remplaçant.