Surnommé le «Guide suprême», le «Grand Léopard», il avait régné sur le Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) sans partage pendant 32 longues années. Le maréchal Mobutu Sese Seko, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a marqué l’imaginaire de millions de Zaïrois (congolais) et d’Africains. Considéré comme l’un des chefs d’État les plus influents du continent noir pendant la guerre froide, il avait marqué son époque en jouant le rôle que l’Occident attendait de lui en tant que rempart contre les menées soviétiques. À chaque grande crise en Afrique sub-saharienne, il avait son mot à dire. Pesant sur le cours des évènements aussi bien en Angola et au Burundi qu’en Ouganda et en Afrique australe, il n’a pourtant pas pu stopper la guerre qui lui a été imposée en octobre 1996. Confronté à une rébellion armée soutenue par les pays voisins avec la bénédiction de certains pays occidentaux, il s’est vu contraint à l’exil, avant de rendre l’âme quelque temps après à Rabat, au Maroc.
Au départ, l’homme de l’Occident
S’il y a une réputation qui a collé à la peau du maréchal Mobutu jusqu’à son décès, c’est bien celui d'«homme de l’Occident». Il aurait été repéré par la CIA au début des années 1960. À l’accession du Congo à la souveraineté internationale, le 30 juin 1960, Joseph-Désiré Mobutu, ancien journaliste et sous-officier dans l’Armée nationale congolaise (ANC), évolue aux côtés du Premier ministre Patrice Émery Lumumba. Lorsque la crise éclate entre l’ancienne puissance coloniale (la Belgique) et le Congo nouvellement indépendant, Lumumba le propulse ainsi qu’un certain nombre d’officiers congolais à des grades supérieurs dans le cadre de sa politique d’africanisation de l’armée nationale. Mobutu devient colonel et est nommé chef d’état-major de l’ANC.
Entre-temps, une grave crise éclate entre le Premier ministre Lumumba et le président Kasavubu, instrumentalisé par la Belgique. Face à la persistance des tensions entre les deux hommes, Mobutu les neutralise au prétexte de sortir le pays de l’impasse. Instrumentalisé par la CIA et Bruxelles, soutenu par la Mission des Nations unies au Congo (ONUC), dont le noyau décisionnel est composé d’Américains, il écarte définitivement, dans un premier temps, Patrice Lumumba, soupçonné à tort de flirter avec le communisme. Dans un second temps, il orchestre un coup d’État contre le président Joseph Kasavubu, le 24 novembre 1965.
À partir de ce moment, Mobutu se positionne comme l’un des plus grands alliés de l’Occident sur le continent africain. Le Congo (rebaptisé Zaïre en 1971) devient le partenaire privilégié des États-Unis dans leur croisade contre les menées soviétiques en Afrique. À travers Mobutu, la CIA mène une lutte sans merci contre tous les régimes africains soutenus par l’URSS.
La France, malgré la faiblesse de ses intérêts économiques au Zaïre, y trouve aussi son intérêt. Par l’intermédiaire de Mobutu, l’Hexagone conforte en effet ses positions dans plusieurs pays d’Afrique centrale. Si bien que le Zaïre, qui n’est pourtant pas dans son pré carré, devient un allié important. Mobutu s’insère ainsi dans le réseau françafricain au point d’en devenir un des piliers les plus importants. En 1977 et 1978, l’armée française (le 2è REP de la Légion étrangère), épaulée par l’armée marocaine (1977) puis belge (1978), intervient dans le Shaba (Katanga) pour contrer des rébellions anti-Mobutu venues d’Angola et soutenues par Cuba...
«S'affranchir de la tutelle» occidentale
S’il est vrai que les États-Unis et la Belgique ont hissé le lieutenant-général Mobutu à la tête du Congo pour servir leurs intérêts, il est vrai aussi qu’avec l’évolution du temps, la conjoncture géopolitique et surtout l’expérience acquise au sommet de l’État, Mobutu était parvenu à maîtriser le mécanisme de fonctionnement interne du système politique et financier de ses alliés occidentaux, au point d’en déceler les faiblesses et les contradictions qu’il parvient à manier avec maestro pour échapper à leur pression. Il avait ainsi réussi à renverser de temps en temps les rôles: le léopardeau, devenu adulte, avait maté ses dompteurs. Comme l’a souligné le cinéaste Thierry Michel, réalisateur de plusieurs films documentaires sur sa vie, «Mobutu a été l’otage des Américains et des Belges, c’est évident. Mais il s’est affranchi de cette tutelle. Il a joué les Américains contre les Belges, les Français contre les Américains, etc. Il a même joué les différents clans du pouvoir américains les uns contre les autres.»
Mobutu ira jusqu’à expulser, plus d’une fois, l’ambassadeur américain Deane Hinton du Zaïre sans perturber sérieusement les relations qu’il entretenait avec Washington, guerre froide oblige...
La fin des amours
Mais dès la fin de la guerre froide, la donne change. Avec l’élimination de «la menace soviétique», les Américains ont estimé qu’il n’était plus dans leur intérêt de soutenir Mobutu et, au contraire, qu’il fallait s’en défaire urgemment. Le «maître de Kinshasa» avait perdu sa valeur utilitaire et l’ambassadrice américaine Melissa Wells ne manqua pas de le lui faire comprendre sans s’encombrer de circonlocutions diplomatiques.
En octobre 1996, le Président, entre-temps autoproclamé maréchal, est confronté à une rébellion armée soutenue par le Rwanda et l’Ouganda avec la bénédiction des États-Unis. Affaibli par la maladie (il souffre alors d’un cancer de la prostate), il est incapable de résister à la poussée des rebelles. Le 17 mai 1997, Mobutu Sese Seko quitte le Zaïre pour le Maroc où il décédera quelques mois plus tard.
Pour de nombreux Zaïrois, pour qui la gestion du Mobutisme fut une catastrophe tant sur le plan socio-politique qu’économique, la chute du «Grand Léopard» devrait marquer le début d’une nouvelle ère pour le Zaïre, rebaptisé République démocratique du Congo par le tombeur de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila.
Le temps du déluge
Le problème est que la «révolution» vendue aux Congolais par Laurent-Désiré Kabila et ses parrains a fini par accoucher d’une misère noire. D’abord parce que la RDC a replongé dans une terrible guerre civile deux ans après, conflit qui a totalement ruiné le pays et a fait des millions de victimes. Ensuite, parce que le pays n’a jamais recouvré une stabilité totale malgré la signature d’accords de paix et l’organisation d’élections à trois reprises. Des élections contestées en raison des irrégularités qui les ont toujours caractérisées.
En réalité, depuis le départ du maréchal Mobutu, la RDC ne s’est jamais relevée. Si la situation politique semble se stabiliser, il n’en demeure pas moins que la situation socio-économique et sécuritaire, elle, n’a rien à envier à celle de certains «États faillis». L’urgence est à tous les niveaux et les défis sont énormes. Bien en haut de la liste des priorités, il y a l’épineuse question sécuritaire dans les régions du Kivu et de l’Ituri. Là-bas, près d’une centaine de groupes armés continuent de faire régner la loi de la terreur. À cela s’ajoute la montée en puissance du tribalisme qui inquiète de plus en plus. Ce sont tous ces problèmes qui poussent aujourd’hui des Congolais à regretter l’époque Mobutu.
Depuis quelque temps, l’ancien drapeau du Zaïre (vert, rouge, jaune) est revenu en force et de nombreux Congolais n’hésitent plus à rappeler les «bons coups» de l’ancienne époque. Il faut dire que sous le maréchal, tout n’était pas noir comme l’a souvent prétendu une certaine presse occidentale. À cet égard, il convient en effet de souligner que le Zaïre connaissait une paix et une stabilité totale. L’unité du pays était prise en exemple ailleurs sur le continent. Dans les premières années du régime, l’économie était florissante en raison, entre autres, de la nationalisation des actifs congolais de l’Union minière (ce qui avait contrarié profondément la société mère, la Générale de Belgique qui contrôlait environ 70% de l’économie du Congo-belge) et la création de la Gécamines (Générale des carrières et des mines) qui s’occupait de l’exploitation des minerais du cuivre.
La guerre du Vietnam ayant provoqué une flambée spectaculaire des cours mondiaux du cuivre, l’État congolais avait rempli ses caisses et investi dans le social. Pour consolider son nouveau régime économique, Mobutu avait également remplacé l’argent, en lançant une nouvelle unité monétaire qu’il baptisa le Zaïre, en référence à la nouvelle dénomination du pays depuis le 27 octobre 1971. Un Zaïre-monnaie équivalait à 100 francs belges et à deux dollars américains. Ce furent pour beaucoup des années fastes, la période des vaches grasses.
Le 30 octobre 1974, le Zaïre, au sommet de sa gloire, organisait l’un des plus grands combats de boxe de l’histoire. Combat au cours duquel l’illustre Mohamed Ali défiait l’invincible George Foreman. «The Rumble in the Jungle», pour reprendre une expression de la presse anglo-saxonne.
Durant toute cette période, le pays est au vert, en dépit des secousses engendrées par la politique de la Zaïrianisation, dont l’articulation a, au fil des ans, entraîné la faillite, voire la déliquescence rapide de la plupart des entreprises arrachées aux étrangers.
Le système éducatif comptait parmi les meilleurs sur le continent, ce qui a fait que de nombreux étrangers venaient étudier au Zaïre. Dans la région des Grands Lacs, il suscitait une telle crainte qu’aucun pays ne s’aventurait à violer son intégrité territoriale. Même si au final Mobutu a fini, cruelle ironie de l’Histoire, par détruire de ses propres mains ce qu’il avait pourtant bâti au prix d’énormes sacrifices, pour de nombreux habitants cette époque reste la meilleure de l’existence de l’État congolais à ce jour.
Au regard de ceci, on comprend pourquoi des Congolais sont nostalgiques: non pas parce que l’ancien Président aurait été un ange ou sans défauts, mais parce que ses successeurs, ceux qui ont fait rêver la population en lui promettant monts et merveilles, n’ont pas fait mieux que lui. Le maréchal avait prophétisé qu’après lui, ce serait le déluge...