C’est une fin pour le moins brutale pour le Président guinéen Alpha Condé, démis ce 5 septembre de ses fonctions par des militaires du groupement des forces spéciales (GFS).
Actuellement entre les mains des putschistes, le Président de 83 ans avait été réélu en octobre 2020 pour un troisième mandat controversé, qui a donné lieu à des violences post-électorales.
Pour justifier leur acte, les putschistes, réunis au sein d'un «Comité national du rassemblement et du développement» (CNRD), évoquent dans leur déclaration de prise de pouvoir la dégradation de la situation sociopolitique et économique de la Guinée, «le dysfonctionnement des institutions républicaines», «l’instrumentalisation de la justice», «le piétinement des droits des citoyens», «l’irrespect des principes démocratiques», «la politisation à outrance de l’administration publique», «la gabegie financière» et «la pauvreté et la corruption endémique». La dissolution de la Constitution, des institutions et du gouvernement est annoncée.
La déclaration diffusée sur les réseaux sociaux est faite par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya. Celui qui est désormais à la tête des putschistes avait été un légionnaire de l’armée française. En 2018, il est rappelé en Guinée pour commander le groupement des forces spéciales.
Un autre communiqué diffusé plus tard dans la soirée précise que les ministres sont remplacés temporairement par les secrétaires généraux (des ministères respectifs) et sont invités à se présenter ce 6 septembre au palais du peuple de même que les présidents des institutions de la République.
«Tout refus de se présenter sera considéré comme une rébellion vis-à-vis du CNRD», affirme le communiqué présenté dans une vidéo par un autre officier de l’armée guinéenne.
Retour à l’ordre constitutionnel
Tout comme pour le Mali, où le dernier coup d’État militaire a eu lieu dans la sous-région ouest-africaine en mai dernier, l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), opposées à une prise illégale du pouvoir, ont condamné avec la plus grande fermeté l’acte posé par les militaires.
Dans son communiqué en date du 5 septembre 2021, l’institution sous-régionale présidée par le chef d'État ghanéen Nana Akufo-Addo a exigé «le retour à l’ordre constitutionnel sous peine de sanctions» en appelant les forces de défense et de sécurité de la Guinée à «demeurer dans une posture républicaine».
«Le respect de l’intégrité physique du Président de la République, le professeur Alpha Condé, sa libération immédiate et sans condition ainsi que celle de toutes les personnalités arrêtées», ont été demandés. Moscou et Paris ont également demandé «la libération immédiate» d'Alpha Condé.
L’opposition prend acte
De son côté, le Mouvement FNDC (Front national pour la défense de la Constitution), regroupement de partis politiques et d’organisations de la société civile à l'origine d'une série de manifestations à Conakry contre le troisième mandat du Président Alpha Condé, a «pris acte», dans un communiqué publié tard dans la nuit, de ce coup d’État. «Le FNDC rappelle que ce régime qui était dirigé par le dictateur Alpha Condé était illégitime et anticonstitutionnel», est-il notamment possible de lire dans la déclaration.
L’un de ses leaders, Aliou Bah, qui est le président du Mouvement démocratique libéral (MoDel) a affirmé à Sputnik que le peuple guinéen «s'est libéré» du régime du Président Alpha Condé. C’est la preuve, dit-il, que l’opposition guinéenne est parvenue à convaincre qu'«Alpha Condé n’avait plus le droit de se représenter pour un troisième mandat, et que les institutions [issus du scrutin présidentiel de 2020, ndlr] n’incarnaient plus véritablement notre pays».
Pour preuve, poursuit-il, «économiquement le pays est bloqué, la précarité a atteint un niveau inqualifiable, ce qui a contribué à enfoncer davantage le régime. D’où ce qui s’est passé. Nous l’avons vu et en avons pris acte».
«Quand j’ai écouté la déclaration des militaires, je peux dire à la limite qu’ils ont compris que ce régime avait un problème de légitimité», a-t-il ajouté.
Cependant prévient-il, l’opposition guinéenne n’a jamais souhaité dans sa démarche politique «une prise illégale du pouvoir».
«Toutes les initiatives que nous avons prises étaient légales. Mais la Constitution légitime et légale de la Guinée a été supprimée par le Président Alpha Condé qui l’a fait remplacer par une autre taillée à la mesure de ses propres ambitions. La Guinée était ainsi sortie d’un processus démocratique pour laisser place à une dictature. Et quand on n’est plus en démocratie, voilà ce qui peut arriver. Et nous ne pouvons pas défendre une institution qui n’est plus légitime au regard de la loi», a détaillé Aliou Bah
Retour dans un processus démocratique normal
«Notre objectif aujourd’hui c’est de contribuer au mieux pour le retour de la Guinée dans un processus démocratique normal», a poursuivi Aliou Bah.
Cela passera nécessairement, insiste-t-il, par des élections inclusives, libres et transparentes qui donneront le pouvoir à des responsables politiques qui répondent bien aux aspirations des Guinéens. Il faudra, dès lors, que toutes les questions puissent être «discutées de manière inclusive».
«Beaucoup de nos concitoyens sont encore dans des prisons. Il faudra les faire libérer immédiatement. Nous exigeons également que nos concitoyens et tout résident sur le territoire guinéen soient rassurés sur leur sécurité», a insisté par ailleurs le président du MoDel.
Le dernier coup d’État que la Guinée a connu remonte à l'année 2008 suite à la mort du Président Lansana Conté, lui-même arrivé au pouvoir après un coup d'État en 1984.
La junte militaire qui a pris le pouvoir était dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara. En décembre 2009, celui-ci est grièvement blessé par son aide de camp, mais la transition se poursuit sous la conduite du général Sékouba Konaté. En novembre 2010, Alpha Condé est élu Président de la Guinée pour un premier mandat.