Le Cameroun et le Nigeria, deux pays voisins, font face depuis peu à de nombreux défis sécuritaires et transfrontaliers qui menacent sérieusement leur stabilité: la montée du grand banditisme, le séparatisme, le terrorisme avec le regain de vitalité observé depuis peu du côté de la secte islamiste Boko Haram, la gestion des déplacés…Afin de revisiter leurs stratégies communes de défense, les responsables sécuritaires des deux pays se sont retrouvés à Abuja du 24 au 26 août à l’occasion de la huitième session du Comité de sécurité transfrontalière.
Les deux nations ont réaffirmé leur volonté de mutualiser leurs efforts pour faire face aux défis communs. Dans le registre des nouvelles résolutions: échange régulier d’informations entre les structures spécialisées des deux pays, lutte contre la contrebande et la fraude douanière, créations d'activités au bénéfice des jeunes…Aussi un accord de coopération bilatérale a été signé entre les deux pays. Il en ressort que le Nigeria ne sera pas la base des terroristes opérant au Cameroun et vice versa.
Le Nigeria, base arrière des séparatistes camerounais?
En effet, si chaque pays fait face à ses propres crises internes, les connexions sont facilement établies au-delà des territoires nationaux, tout au long des 2.000 km de frontières communes. D’un côté, alors que la secte Boko Haram est partie du Nigeria pour devenir un problème de sécurité dans la région frontalière de l’Extrême-Nord du Cameroun, ce dernier pays fait aussi face depuis 2017 à un violent conflit séparatiste qui menace sa cohésion nationale. Les combats se déroulent dans les régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest anglophone, elles aussi frontalières au Nigeria. Les violences ont déjà fait plus de 3.500 morts (civils et militaires) et poussé plus de 700.000 personnes à abandonner leur foyer. De par leur proximité géographique et même culturelle, le territoire du Nigeria constitue, constate Serge Éric Dzou Ntolo, enseignant en sciences politiques à l’université de Ngaoundéré (Cameroun), «la base de repli tant des combattants séparatistes, que des populations en situation de déplacés de guerre à l’extérieur. Abuja redouterait également une résurgence des velléités séparatistes des nostalgiques d’un État du Biafra indépendant, que la guerre au Cameroun pourrait inspirer».
À l’ouverture des travaux du Comité de sécurité transfrontalière, le Président nigérian Muhammadu Buhari a réaffirmé par la voix de son conseiller à la sécurité nationale le soutien de son pays dans ce conflit interne au Cameroun.
«Le territoire nigérian ne sera jamais utilisé comme base arrière par des mouvements terroristes pour déstabiliser un État souverain», a-t-il transmis à l’assistance.
Un message qui arrive dans un contexte marqué par des informations récurrentes au sujet de de la facilité de repli des combattants séparatistes au Nigeria où ils sont soupçonnés de se ravitailler en armements. D’ailleurs, comme une autre preuve de la bonne collaboration entre les deux pays, l’armée nigériane a démantelé un réseau de 39 trafiquants d’armes de guerre dans la localité d’Ikom, frontalière avec le Cameroun. Selon la police nigériane, ces suspects présentés le 26 août à Abuja seraient de connivence avec les séparatistes camerounais. Leur butin était constitué d’armes de guerre et de munitions. S’il est difficile de maîtriser les mouvements tout au long de cette frontière commune, Serge Éric Dzou Ntolo pense néanmoins qu’Abuja a déjà prouvé plus d’une fois «sa loyauté à Yaoundé».
«Lorsqu’en 2018, le Nigeria, contre les dispositions du droit international, permet à un commando camerounais de pénétrer sur son territoire et d’enlever les leaders séparatistes au premier rang desquels Sisuku Ayuk Tabe [leader séparatiste anglophone emprisonné à Yaoundé depuis 2018, ndlr], c’était bien un signe de son refus au projet sécessionniste de ces derniers», analyse pour Sputnik, le spécialiste en relations internationales et stratégiques.
La menace Boko Haram
L’une des grosses épines d’insécurité entre les deux nations demeure Boko Haram. L'Extrême-Nord du Cameroun a hérité des attaques de cette secte islamiste venue il y a plus d'une décennie du Nigeria voisin. Le groupe djihadiste mène depuis 2009 une rébellion dans le nord-est du Nigeria et qui s’est propagée dans plusieurs pays de la région. La puissance régionale qu'est le Nigeria a déjà du mal à endiguer les actions de la secte sur son territoire, avec au compteur plus de 36.000 personnes tuées et trois millions de déplacés et réfugiés. Malgré les efforts concertés dans le cadre de la Force multinationale mixte (FMM) - coalition constituée des troupes militaires du Cameroun, du Nigeria, du Tchad, du Niger et du Bénin -, sur le terrain des opérations depuis 2015, ces derniers mois, les populations de la longue frontière entre les deux pays subissent la montée en puissance des exactions de la nébuleuse terroriste.
Que ce soit au Cameroun ou Nigeria, les attaques récentes démontrent que la capacité de nuisance du groupe n’est pas encore réduite à néant. L’usage du territoire camerounais comme base de repli a fini par prendre une ampleur durable de théâtre des opérations. Une mise à jour de la mutualisation des forces entre le Cameroun et le Nigeria face à Boko Haram, mentionne Serge Éric Dzou Ntolo, semble plus que nécessaire, «car la sécurisation des frontières face aux menaces asymétriques n’est évidente pour aucune armée, aussi puissante soit-elle».
«Aussi, l’accent doit être porté sur la coopération au plan du renseignement prévisionnel, une campagne d’endiguement simultanée de part et d’autre des frontières par les deux armées en cette période de recrudescence des attaques terroristes. Au-delà du format militaire de la riposte face au phénomène du terrorisme, se saisir des questions de la pauvreté, de la sous-éducation, qui exposent les habitants au risque de l'endoctrinement terroriste. [...] Ainsi, la mutualisation des forces entre le Cameroun et la première puissance économique et culturelle d’Afrique devrait aussi consister en la transformation socioéconomique de ces sphères sahéliennes abandonnées aux conditions hostiles de la géographie», suggère le chercheur associé au centre africain d’études stratégiques pour la promotion de la paix et le développement (CAPED).