Épinglé dans l'affaire Pegasus, Kigali bientôt au cœur de nouvelles tensions régionales?

Kigali aurait utilisé le logiciel israélien Pegasus pour espionner des responsables politiques de certains pays africains, d'après le collectif d'ONG et de médias du Projet Pegasus. Des accusations risquant de raviver les tensions déjà persistantes entre Kigali et ces États. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
Sputnik

C’est un scandale qui tient en haleine les médias du monde entier, et l'Afrique subsaharienne n'est pas en reste. L’affaire Pegasus, du nom du puissant logiciel d’espionnage israélien utilisé par certains États pour espionner des journalistes, des militants des droits de l’homme, des personnalités et responsables politiques, voire des chefs d’État, continue de révéler ses petits secrets. Selon le consortium des médias internationaux - réunis au sein d'un réseau coordonnée par l'ONG Forbidden Stories et assisté par l'ONG Amnesty International - qui a révélé l’affaire, le Rwanda aurait mis sur écoute les conversations de hauts fonctionnaires et responsables politiques ougandais, burundais, congolais et sud-africains. Des révélations que les autorités rwandaises ont vivement contestées et qui risquent de mettre à mal les relations déjà problématiques entre Kigali et certains des pays susmentionnés.

Multirécidiviste?

Il ne s'agit pas de la première fois que le Rwanda, petit pays enclavé d’Afrique de l’Est de 26.338 km2, se fait épingler dans une affaire d'espionnage.

En effet, depuis l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame en juillet 1994, le pays des mille collines s’est beaucoup investi dans l’espionnage, au point d’être considéré comme l’un des pays africains les plus avancés en la matière. L’actuel Président du Rwanda est lui-même un ancien du renseignement militaire ougandais, où il occupait le poste de directeur adjoint des services. Si le scandale qui a éclaté dans le sillage de l’affaire Pegasus surprend plus d’un, au Rwanda même ainsi que dans la région des Grands Lacs, il doit sûrement susciter des haussements d’épaules et des rires sous cape.

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S’il n’est un secret pour personne que le pouvoir rwandais mobilise d’importants moyens pour espionner sa propre population, il en mobilise encore davantage pour scruter tout ce qui se passe en dehors de ses frontières. Sont particulièrement visés, les militants des droits de l’homme, les journalistes rwandais et étrangers, les opposants et surtout les dissidents. L’utilisation des technologies de plus en plus sophistiquées lui permet de surveiller et de traquer tous ceux qui représentent une menace quelconque aux yeux du régime.

Il y a deux ans, le Financial Times révélait l’espionnage de plusieurs membres de l’opposition en exil à l’aide de Pegasus. Leurs téléphones et surtout leurs comptes WhatsApp avaient été pistés par les services rwandais à l’aide de ce puissant logiciel. Mis au point et vendu par le groupe israélien NSO basé à Herzliya et détenu en partie par un groupe de capital-investissement britannique appelé Novalpina Capital, Pegasus a été conçu pour s'introduire dans des téléphones portables et commencer à transmettre à des serveurs du monde entier l'emplacement du propriétaire, ses conversations cryptées, pour ne pas dire tout le contenu de l’appareil. Officiellement, le logiciel est destiné à lutter contre la grande criminalité et le terrorisme. Mais la réalité est aux antipodes de cette prétention.

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En fait, Pegasus est utilisé par certains États avant tout à des fins de surveillance. En 2019, WhatsApp avait accusé NSO Group d’envoyer des logiciels malveillants à quelque 1.400 téléphones portables à des fins de surveillance. Parmi ces portables figuraient des appareils appartenant à des opposants et dissidents rwandais. 

À l’époque où le Financial Times avait révélé l’affaire, le Président Kagame avait réagi aux allégations en niant les faits, arguant qu’il n’avait pas assez de moyens pour s’offrir un tel logiciel…

Target it!

Seulement voilà! Son régime vient d’être pris la main dans le sac à en croire le consortium des médias internationaux et d'ONG qui a enquêté sur Pegasus et a eu accès à près de 50.000 numéros de téléphone potentiellement ciblés par le puissant logiciel. Parmi les personnes ciblées par les espions rwandais, il y a Carine Kanimba, la fille de l’opposant Paul Rusesabagina, incarcéré et jugé aujourd’hui à Kigali après avoir été kidnappé à Dubaï il y a quelques mois, des responsables politiques et militaires ougandais, burundais et congolais. Comme Alain-Guillaume Bunyoni, Premier ministre du Burundi, Joseph Ocwet et le général David Muhoozi, respectivement patron des renseignements extérieurs et ministre de l’Intérieur ougandais, ou encore Ruhakana Rugunda, qui était jusqu’à tout récemment le Premier ministre de l’Ouganda.

Selon le collectif du Projet Pegasus, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa figure également parmi les hautes personnalités africaines ciblées par les services rwandais via Pegasus. Dès l’annonce de la nouvelle, le gouvernement sud-africain n’a pas tardé à réagir en chargeant les agences de renseignement du pays de faire toute la lumière sur l’espionnage du portable personnel du Président Ramaphosa.

Il a enfin été établi par le Projet Pegasus que les services secrets rwandais ont espionné près de 3.500 téléphones à l’aide de ce logiciel depuis 2016.

Risque de tensions supplémentaires

Bien entendu, le Rwanda a vivement rejeté toutes les allégations le visant. «Ces fausses accusations font partie d’une campagne permanente visant à provoquer des tensions entre le Rwanda et d’autres pays, et à semer la désinformation sur le Rwanda au niveau national et international», a déclaré le gouvernement rwandais dans une déclaration adressée à l’équipe des journalistes qui a travaillé sur le Projet Pegasus.

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Les autorités rwandaises ne peuvent que nier les faits, d’autant plus que les révélations tombent à une très mauvaise période de son histoire diplomatique. Ça fait quelques années maintenant que les relations avec les voisins burundais et ougandais ne sont plus au beau fixe. La méfiance est réciproque en dépit des postures affichées de part et d’autre. Avec l’Afrique du Sud, les relations se sont détériorées après l’assassinat, le 31 décembre 2013, dans un hôtel de Johannesburg, du colonel Patrick Karegeya, ancien patron des renseignements extérieurs rwandais passé dans l’opposition.

L’affaire Pegasus pourrait ralentir le processus de normalisation engagé avec les pays susmentionnés - processus auquel le Rwanda tient beaucoup. Elle risque aussi de raviver les tensions entre Kigali et le trio Gitega-Kampala-Pretoria. C’est, en effet, une couche supplémentaire de suspicion qui s’ajoute dans les relations déjà problématiques entre ces capitales et Kigali. Certains États de la région des Grands Lacs ainsi que l’Afrique du Sud vont finir par se convaincre que le Rwanda n’est pas un partenaire fiable.

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Selon le Consortium des médias internationaux, l’espionnage des responsables ougandais a coïncidé avec la visite de Paul Kagame en Ouganda, en février 2020, dans le cadre de la normalisation des relations entre les deux pays. Comme pour dire que le Rwanda n’a pas perdu certains réflexes en dépit de sa volonté de renouer avec ses anciens alliés...

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