Lentement mais sûrement, Berlin et Rome avancent leurs pions dans l’Europe de l’espace.
L’Allemagne veut se lancer sur les lanceurs légers
«Un accord ruineux qui sacrifie le tissu industriel français au profit de l'Allemagne par de nombreux transferts industriels», dénonce le député LFI Bastien Lachaud (Seine-Saint-Denis) auprès du quotidien d'information économique. Il estime que «la France sort affaiblie» de cet accommodement. En somme, Berlin bichonne son industrie boostée par les perspectives du «New Space» où des entrepreneurs privés entendent rivaliser avec les agences spatiales à coups de satellites et de lanceurs de plus en plus légers et abordables. La volonté du gouvernement français d’éviter «une guerre des lanceurs lourds entre les nations européennes» apparaît quelque peu en décalage avec la réalité du marché.
Reste à savoir si ces concessions se justifient. Lancée en 2014 et accumulant les retards, Ariane VI est considérée par beaucoup comme dépassée face à la concurrence de l’américain SpaceX et de sa fusée réutilisable Falcon. Ainsi, le directeur du Centre national d’études spatiales (Cnes), Jean-Yves Le Gall, n’y voit qu’«une évolution incrémentale d’Ariane 5». De son côté, l’Agence spatiale européenne (ESA) mise sur un lanceur réutilisable à l’horizon 2030. L’angle d’attaque des Français face à cette rupture de paradigme, maintenir le cap: continuer à truster le créneau des lanceurs lourds et concevoir une fusée multi-usage. Un lanceur bon marché à défaut d’être réutilisable… Un avantage concurrentiel loin d’être acquis.
«Ariane VI, c’est Ariane IV "nouvelle génération", c’est tout! À part le nouveau moteur, réallumable, qui permet d’avoir des trajectoire exotiques, il n’y a pas de transformation», nous confie Bertrand Vilmer, ancien vice-président d’Arianespace.
Vega italien: Paris offre la victoire à la «Pizza connection»
Reste que sur son propre segment de marché, Ariane affronte un environnement en plein bouleversement. En effet, les velléités de concurrence envers l’actuel «lanceur lourd européen» n’ont jamais été aussi vives en Europe. Si, pour l’heure, le lanceur Vega complète officiellement l’offre d’Arianespace (aux côtés du lanceur lourd Ariane V et du lanceur moyen Soyouz/ST), la fusée italienne est perçue dans le milieu spatial comme un «sérieux rival» pour Ariane VI. Le ciel n’a pas fini de s’obscurcir pour la fusée Ariane, dans la mesure où, depuis les États-Unis, les Italiens développent Vega E (Vega Evolution) afin d’«augmenter la flexibilité des lancements». Bref, ils comptent bien piétiner les plates-bandes d’Ariane VI!
Paradoxe, l’Agence spatiale européenne, dont les Français sont les premiers contributeurs financiers, vient de signer un chèque de 118 millions d’euros aux Italiens pour leur permettre de parachever le développement de Vega E. Il est tentant de voir dans cet argent en partie français, donné pour développer une rivale à Ariane, les sommes que Paris est allé mendier à Berlin pour sauver Ariane en échange de lourdes concessions industrielles.
Bertrand Vilmer n’a rien contre le fait que les Italiens produisent leurs lanceurs. Mais il déplore que Rome récupère auprès d’Arianespace le contrôle des opérations pour les lancements de Vega. «C’est l’Italie qui fait le forcing», insiste notre interlocuteur, évoquant la manière dont les Italiens faisaient bande à part à Kourou et s’organisaient pour gratter des prérogatives à l’entreprise française.
Une véritable «Pizza connection» dans l’enceinte du port spatial européen, en somme! «C’est une erreur fondamentale, alors que les Français en ont la paternité, d’avoir laissé les Italiens prendre la partie opérationnelle de Vega», regrette-il. Là encore, à ses yeux, cela atteste la faiblesse de Paris face à ses partenaires.
«L’Europe paie une société de lancement, qui s’appelle Arianespace, qui cumule l’expérience des différents lanceurs et lancements à travers les âges. Cela ne sert à rien de créer une structure supplémentaire. En réunion de négociation, c’était facile à démontrer…»
Mais nos amis transalpins ne se contentent pas de vouloir construire et lancer leurs propres fusées. Une ambition réalisée, soit dit en passant, grâce à l’argent des Européens tout en profitant de la possibilité d’effectuer les tirs depuis la Guyane française. Rome planche en outre sur la transformation de son porte-avions Giuseppe Garibaldi en base de lancement flottante. Exclusivement adapté à des lanceurs légers de type Vega, ce dispositif ne servirait en rien pour la pauvre Ariane.