La France perd aussi du terrain dans… l’espace!

© AFP 2024 PHILIPPE BAUDONDécollage d’Ariane 5 à Kourou, le 21 mai 2010. (PHILIPPE BAUDON / CNES / AFP)
Décollage d’Ariane 5 à Kourou, le 21 mai 2010. (PHILIPPE BAUDON / CNES / AFP) - Sputnik Afrique, 1920, 28.07.2021
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Le récent accord franco-allemand signé entre les ministres de l’Économie des deux pays concéderait des avantages significatifs à l’Allemagne dans le développement de ses propres fusées en échange du sauvetage d’Ariane VI. Retour sur la manière dont Paris se tire une balle dans le pied.

Lentement mais sûrement, Berlin et Rome avancent leurs pions dans l’Europe de l’espace.

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Il semblerait que la France ne sorte pas gagnante de l’accord présenté le 21 juillet à Bercy. Aux termes de ce qui a tout l’air d’un marché de dupes, la France pourrait payer très cher le sauvetage du lanceur lourd d’Arianespace. Selon Les Échos, en contrepartie de l’aide de 140 millions d’euros apportée au successeur d’Ariane V et de la préférence européenne souhaitée par Paris, non seulement l’Allemagne obtient l’ouverture à la concurrence des petits lanceurs, mais elle rapatrierait sur son sol l’usine de Vernon en charge de fabriquer le moteur à propulsion liquide, réallumable donc. L’Allemagne avait pris part au programme développé sous la houlette de Safran dans le cadre d’Ariane V, via Astrium, division du groupe Airbus.

L’Allemagne veut se lancer sur les lanceurs légers

«Un accord ruineux qui sacrifie le tissu industriel français au profit de l'Allemagne par de nombreux transferts industriels», dénonce le député LFI Bastien Lachaud (Seine-Saint-Denis) auprès du quotidien d'information économique. Il estime que «la France sort affaiblie» de cet accommodement. En somme, Berlin bichonne son industrie boostée par les perspectives du «New Space» où des entrepreneurs privés entendent rivaliser avec les agences spatiales à coups de satellites et de lanceurs de plus en plus légers et abordables. La volonté du gouvernement français d’éviter «une guerre des lanceurs lourds entre les nations européennes» apparaît quelque peu en décalage avec la réalité du marché.

Reste à savoir si ces concessions se justifient. Lancée en 2014 et accumulant les retards, Ariane VI est considérée par beaucoup comme dépassée face à la concurrence de l’américain SpaceX et de sa fusée réutilisable Falcon. Ainsi, le directeur du Centre national d’études spatiales (Cnes), Jean-Yves Le Gall, n’y voit qu’«une évolution incrémentale d’Ariane 5». De son côté, l’Agence spatiale européenne (ESA) mise sur un lanceur réutilisable à l’horizon 2030. L’angle d’attaque des Français face à cette rupture de paradigme, maintenir le cap: continuer à truster le créneau des lanceurs lourds et concevoir une fusée multi-usage. Un lanceur bon marché à défaut d’être réutilisable… Un avantage concurrentiel loin d’être acquis.

«Ariane VI, c’est Ariane IV "nouvelle génération", c’est tout! À part le nouveau moteur, réallumable, qui permet d’avoir des trajectoire exotiques, il n’y a pas de transformation», nous confie Bertrand Vilmer, ancien vice-président d’Arianespace.

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Passé par les cabinets ministériels, notre intervenant évoque les passes d’armes entre des Français qui misent sur un lanceur polyvalent à bas coût et des Allemands qui misent sur des lanceurs légers réutilisables. «Les deux ont raison, tranche-t-il. Tout va être un problème d’estimation du futur marché: est-il devant ou derrière nous?» Betrand Vilmer rappelle le long laps de temps entre la décision de développer un lanceur et sa commercialisation. «Au moment où la décision d’Ariane VI a été prise, la capacité de récupération qu’annonçait Elon Musk était très hypothétique.»

Vega italien: Paris offre la victoire à la «Pizza connection»

Reste que sur son propre segment de marché, Ariane affronte un environnement en plein bouleversement. En effet, les velléités de concurrence envers l’actuel «lanceur lourd européen» n’ont jamais été aussi vives en Europe. Si, pour l’heure, le lanceur Vega complète officiellement l’offre d’Arianespace (aux côtés du lanceur lourd Ariane V et du lanceur moyen Soyouz/ST), la fusée italienne est perçue dans le milieu spatial comme un «sérieux rival» pour Ariane VI. Le ciel n’a pas fini de s’obscurcir pour la fusée Ariane, dans la mesure où, depuis les États-Unis, les Italiens développent Vega E (Vega Evolution) afin d’«augmenter la flexibilité des lancements». Bref, ils comptent bien piétiner les plates-bandes d’Ariane VI!

Paradoxe, l’Agence spatiale européenne, dont les Français sont les premiers contributeurs financiers, vient de signer un chèque de 118 millions d’euros aux Italiens pour leur permettre de parachever le développement de Vega E. Il est tentant de voir dans cet argent en partie français, donné pour développer une rivale à Ariane, les sommes que Paris est allé mendier à Berlin pour sauver Ariane en échange de lourdes concessions industrielles.

Bertrand Vilmer n’a rien contre le fait que les Italiens produisent leurs lanceurs. Mais il déplore que Rome récupère auprès d’Arianespace le contrôle des opérations pour les lancements de Vega. «C’est l’Italie qui fait le forcing», insiste notre interlocuteur, évoquant la manière dont les Italiens faisaient bande à part à Kourou et s’organisaient pour gratter des prérogatives à l’entreprise française.

Une véritable «Pizza connection» dans l’enceinte du port spatial européen, en somme! «C’est une erreur fondamentale, alors que les Français en ont la paternité, d’avoir laissé les Italiens prendre la partie opérationnelle de Vega», regrette-il. Là encore, à ses yeux, cela atteste la faiblesse de Paris face à ses partenaires.

«L’Europe paie une société de lancement, qui s’appelle Arianespace, qui cumule l’expérience des différents lanceurs et lancements à travers les âges. Cela ne sert à rien de créer une structure supplémentaire. En réunion de négociation, c’était facile à démontrer…»

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De surcroît, les récents échecs de Vega sont imputables à des erreurs d’assemblage commises par l’industriel italien. Ces pataquès ont encore plus handicapé Arianespace face à l’explosion de la concurrence internationale. En juillet 2019 et novembre 2020, deux lanceurs Vega ont été perdus peu après leur décollage de Kourou. Une catastrophe liée à «un câblage et à une connexion incorrects des actionneurs électromécaniques» et à un problème «d’inversion des câbles» lors de l’assemblage des fusées sur le site d’Avio dans ses locaux de Calleferro près de Rome.

Mais nos amis transalpins ne se contentent pas de vouloir construire et lancer leurs propres fusées. Une ambition réalisée, soit dit en passant, grâce à l’argent des Européens tout en profitant de la possibilité d’effectuer les tirs depuis la Guyane française. Rome planche en outre sur la transformation de son porte-avions Giuseppe Garibaldi en base de lancement flottante. Exclusivement adapté à des lanceurs légers de type Vega, ce dispositif ne servirait en rien pour la pauvre Ariane.

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