Au Maroc, des frégates italiennes vont-elles supplanter leurs concurrentes françaises?
Fin juin, la presse spécialisée italienne révélait que Rabat était entré en négociations avec Fincantieri pour l’achat de deux frégates FREMM, pour Frégate européenne multimissions, une classe de navire que la France avait souhaité développer conjointement avec l’Italie. Bien qu’elles partagent le même nom, les frégates françaises et italiennes n’ont en commun que leur turbine, système de stabilisation, système de guerre électronique et sonar, achetés en commun, avait précisé Patrick Boissier, ancien PDG de Naval Group, lors d’une audition à l’Assemblée en 2013. Celui-ci estimait que la FREMM aurait pu être développée par la France seule. Selon un rapport d’information publié la même année, seuls 15% des éléments du programme sont communs aux frégates françaises et italiennes.
«Le Maroc qui, rappelons-le, dispose d’une FREMM française en service, souhaiterait acheter deux unités supplémentaires, mais cette fois dans une configuration italienne (antisom)», soulignait ainsi la revue militaire Rivisita Italiana Difesa (RID) dans un papier particulièrement enthousiaste sur les perspectives de Fincantieri… et pas uniquement en Méditerranée.
Des Italiens à l’abordage des marchés français
En effet, selon RID, Fincantieri lorgne non seulement sur le marché marocain, mais également sur le marché grec, où la France est déjà aux prises avec Lockheed-Martin, mais aussi sur le marché nord-américain. De son côté, La Tribune rajoute le positionnement des Italiens en Arabie saoudite contre l’offre du chantier naval français. «Naval Group est en danger», résume sans détour l’hebdomadaire.
Un modèle basé sur la FREMM, avec toutefois quelques modifications: un système de combat de Lockheed-Martin (COMBATSS-21) et un panel de missiles américains en lieu et place des Aster de MBDA, comme l’exigeaient les autorités américaines.
Des sources citées par l’agence italienne Novanews voient dans ce contrat américain une «formidable carte de visite» pour Fincantieri. D’autres y voient surtout le retour sur investissement du recrutement par le constructeur naval de l’ex-vice-amiral américain Richard Hunt, qui connait les recoins du Pentagone comme sa poche. Depuis, les Américains semblent avoir pris la mesure du potentiel offert par les FREMM et entendent bien faire des FFG/X un bestseller à l’export, sur le modèle de l’avion multirôles F-35.
L’Italie peut également remercier Macron
Les revers français ne seraient pas si honteux si les victoires italiennes n’étaient pas autant dues aux faiblesses françaises. En effet, au-delà de ce marché nord-américain très porteur (Fincantieri lorgne aussi sur le Canada, où la flambée des coûts du programme Global Combat Ship fait régulièrement débat), les industriels italiens de l’armement ont su profiter des vides laissés en Méditerranée par leurs concurrents tricolores. Fincantieri a notamment marqué des points en Égypte en vendant début 2020 deux frégates FREMM en lieu et place de Naval Group et de la Marine française qui s’étaient mis en quatre pour livrer début 2015 au Caire, dans les plus brefs délais, la frégate FREMM Normandie débaptisée.
Mais c’était sans compter sur le gel des relations entre Le Caire et Paris. Car pendant près de deux ans, les relations entre Emmanuel Macron et son homologue égyptien, le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi ont été exécrables. Une aubaine en or pour tous les concurrents des industriels français, Italiens en tête. Avec un triplement de ses achats depuis 2010, l’Égypte est devenue le troisième importateur d’armements au monde. Or, ce marché était trusté par les Français. Selon les chiffres du SIPRI, entre 2014 et 2018 la France était de loin le premier fournisseur d’armes de la République arabe (37%), devant la Russie (30%) et les États-Unis (19%), et l’Égypte le premier client de l’industrie d’armement française. Une situation qui a radicalement changé début 2019.
Contrats d’armement: l’ombre des médias et des droits de l’homme
Pour rappel, à l’occasion de sa visite officielle au Caire, Emmanuel Macron avait jugé bon, sous la pression d’ONG internationales (anglo-saxonnes) et d’une grande partie de la presse, de faire la leçon à son hôte en matière de droits de l’homme, rendant de surcroît visite à des blogueurs s’opposant à al-Sissi avant de rentrer en France. Une série d’initiatives élyséennes qui avait provoqué la colère du Président égyptien. Les conséquences du coup de froid ont été désastreuses pour les intérêts français dans le pays. Il fallut attendre le contrat Rafale de quatre milliards d’euros en avril dernier pour voir cet épisode s’achever.
Reste à savoir si l’Italien Fincantieri ne jouira pas d’une dynamique favorable autour de la Méditerranée, s’imposant au Maroc aux dépens de Naval Group. Pour l’heure, les relations franco-marocaines ne sont pas au beau fixe et les révélations du consortium de médias internationaux Forbidden Stories sur le fait qu’Emmanuel Macron et quinze de ses ministres auraient été ciblés par Rabat, via le logiciel d’espionnage Pegasus, ne risque pas d’arranger les choses. En plus de mal tomber, celles-ci ont poussé le Parquet de Paris à ouvrir une instruction contre Rabat suite à la plainte de Mediapart.