Au pays de l’Érable, plus une semaine ne s’écoule sans que des corps d’enfants autochtones ne soient exhumés sur le terrain d’une ancienne école, ou que de nouvelles fouilles ne soient lancées ou réclamées. Le gouvernement fédéral ayant promis de poursuivre les recherches, celles-ci risquent de s’échelonner sur encore des mois, voire des années. Les 17 et 18 juillet dernier, des recherches ont débuté sur le site de l’ancien pensionnat du village de Delmas, en Saskatchewan. Les résultats n’en ont pas encore été dévoilés.
«Pour des milliers de personnes, même si nous ne sommes pas apparentés avec ces ancêtres qu’on est en train de retrouver […], on peut facilement s’associer, à travers le Canada, à une ou plusieurs histoires comme celles-là, où on sait qu’un être cher n’est jamais revenu», déclarait l’ex-commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Michèle Audette, le 18 juillet sur les ondes de TVA, en réaction au lancement de ces fouilles.
Scandale des pensionnats: l’Église fait profil bas
Porte-parole de l’Église catholique de Québec, Valérie Roberge-Dion souligne que son institution reconnaît les «souffrances terribles ayant laissé des traces jusqu’à aujourd’hui». L’heure n’est pas aux «justifications», mais à «l’écoute», dit-elle:
«Les croyants sont bouleversés par la douleur de nos frères et sœurs autochtones causée par le système des pensionnats. […] Ces découvertes ne laissent pas nos paroissiens indifférents. Les croyants ont beaucoup de questions sur les événements. On essaie de leur fournir l’information pour les laisser faire leur propre analyse», explique-t-elle à notre micro.
Selon les chiffres d’Ottawa, durant les XIXe et XXe siècles, au moins 150.000 jeunes issus des Premières Nations ont été placés dans ces établissements scolaires contre la volonté de leurs familles. Appelés pensionnats, ces établissements visaient à extirper les enfants amérindiens de leur milieu culturel pour les immerger dans celui des Canadiens d’origine européenne. Un certain nombre des enfants concernés ont été victimes de mauvais traitements et d’abus sexuels, selon la Commission de vérité et réconciliation.
Les fidèles entre colère et incompréhension
«On ne peut pas parler d’une vague. Pour la région de Québec, on ne recense que trois à cinq demandes d’apostasie par mois. En juin, on en a reçu seize. Chaque demande est importante, mais le diocèse de Québec compte encore près d’un million de baptisés... Sur les seize demandes reçues pour juin, six mentionnaient explicitement la question des pensionnats», précise notre interlocutrice.
Ces dernières semaines, des diocèses se sont engagés à participer au grand processus de réconciliation avec les Premières Nations. C’est notamment le cas des diocèses de Québec et de Calgary, le second venant de s’engager à aider financièrement les survivants des écoles résidentielles:
«Cette contribution exprime l’engagement du diocèse [de Calgary, ndlr] envers le travail continu de justice et de guérison dans notre pays avec les peuples autochtones», a déclaré l’organisation par communiqué, le 16 juillet.
Mais tous ne s’entendent pas sur le rôle exact des congrégations religieuses dans la mort des enfants autochtones, dont les causes ne sont toujours pas connues dans le détail. Selon l’historien Jacques Rouillard, la part de responsabilité attribuée dans les médias à l’Église est nettement exagérée.
Pointer l’Église pour dédouaner l’État fédéral?
Il estime que Justin Trudeau «tente depuis quelque temps de faire dévier la culpabilité du gouvernement vers les communautés religieuses». Une manœuvre de diversion qui viserait à ne pas trop ternir l’image du gouvernement central:
«La responsabilité de cette tragédie incombe entièrement aux gouvernements canadiens qui se sont succédé et qui ont financé les pensionnats, et non aux communautés religieuses qui répondaient aux objectifs de scolarisation fixés par le ministère des Affaires indiennes», plaide l’historien dans les pages du Devoir.
Pour Valérie Roberge-Dion, il incombe davantage aux historiens et aux fidèles eux-mêmes qu’à l’Église de faire le point sur cette question brûlante. Elle évoque tout de même une «responsabilité partagée»:
«Le gouvernement fédéral parce que c’est lui le créateur du système, dans sa volonté d’intégrer et d’assimiler les Autochtones, et les communautés religieuses pour avoir contribué à ce système», analyse-t-elle.
Du 17 au 20 décembre prochain, une rencontre aura lieu au Vatican entre des représentants des Premières Nations du Canada et le pape. Une occasion offerte à François de s’excuser pour les erreurs commises, comme le réclament de nombreux leaders autochtones et Justin Trudeau?
«Ce ne sera pas la première fois que des leaders autochtones rencontrent le pape. Chaque fois, ce fut un pas vers la guérison. […] L’une des grandes demandes de la Commission de vérité et réconciliation du Canada était que le pape s’excuse. La rencontre offre l’espace nécessaire pour acquiescer à la demande, mais on ne peut pas prédire ce que le pape François va préconiser comme approche», conclut la porte-parole de l’Église catholique de Québec.