Décidément, le Président Turc est partout! Après avoir affirmé son intérêt pour l’Afghanistan depuis l’annonce du retrait américain et esquissé un rapprochement avec l’Arabie saoudite et l’Égypte, il vole au secours de l’Autorité palestinienne. Mahmoud Abbas s’est rendu les 9, 10 et 11 juillet à Istanbul à l’invitation de Recep Tayyip Erdogan lui-même. Au cours de son entrevue avec son homologue turc, le Président du Fatah a passé en revue les relations bilatérales, l’importance d’un soutien humanitaire dans les régions palestiniennes, la question de la réconciliation nationale et les futures élections. Selon l’agence de presse palestinienne Wafa, Mahmoud Abbas a souligné «l'importance de parvenir à un apaisement global, de mettre fin aux attaques israéliennes contre la mosquée Al-Aqsa et les quartiers de Jérusalem [est, ndlr], d'arrêter les colonies, les démolitions des maisons et autres pratiques criminelles de l'occupation contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza et en Cisjordanie».
Mahmoud Abbas «réprime toutes les actions indépendantes»
Mais le chef de l’Autorité palestinienne est au cœur des critiques. En effet, en avril dernier, il a reporté les élections palestiniennes, les premières prévues depuis sa prise de fonctions, en 2005. Accusant l’exécutif israélien, il s’est justifié en ces termes: «Nous avons décidé de reporter la date des élections jusqu’à ce que […] notre peuple puisse exercer ses droits démocratiques à Jérusalem.» «C’est une manière de gagner du temps, ce qu’il a toujours fait», déplore Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et fondateur du journal en ligne Orient XXI.
Des manifestations s’en sont ensuivies dans plusieurs villes palestiniennes, à Ramallah, à Hebron et à Naplouse. Le chef de l’Autorité palestinienne s’est vu en outre reprocher son inaction et son mutisme durant le conflit qui a fait rage entre Tel-Aviv et Gaza du 10 au 21 mai. «Le silence assourdissant de Mahmoud Abbas traduit tout simplement son absence flagrante de politique», juge Alain Gresh.
Selon notre interlocuteur, la perte de légitimité d’Abbas «ne date pas d’hier». Pour la mesurer, «il faut remonter aux accords d’Oslo. Mahmoud Abbas ne veut pas admettre son échec et ne veut pas changer, c’est le partisan du statu quo. Aujourd’hui, il réprime toute action indépendante.»
Le leader de Ramallah serait donc à la recherche d’appuis à l’étranger. Le but? Asseoir sa légitimité face à la situation tendue dans les territoires occupés. Il compte bien tirer un maximum de bénéfices de son périple en Turquie, compte tenu de la «politique d’Erdogan», estime le spécialiste du monde arabo-musulman.
«Cette visite me fait penser aux déplacements de Yasser Arafat. Quand il était en difficulté, il allait faire une tournée internationale pour grappiller des soutiens économiques et politiques. La Turquie n’est pas un choix anodin pour Mahmoud Abbas, quand on connaît l’importance de la carte palestinienne dans le jeu politique d’Erdogan. Il en use à des fins électorales», explique notre interlocuteur.
La Turquie investit 10 millions de dollars en Palestine
Au-delà des actions… verbales, la Turquie pourrait bien renforcer ses liens avec la Palestine par l’intermédiaire de projets industriels. En effet, en février dernier, Recep Tayyip Erdogan avait annoncé l’investissement de 10 millions de dollars dans une installation industrielle qui devrait voir le jour près de Jénine. Ce projet serait sur la table depuis 1999. Mais il aurait toujours été différé en raison des blocages israéliens. L’aide financière d’Ankara pourrait avoir des conséquences sur les emplois locaux: environ 5.000 postes seront créés puis 15.000 de manière indirecte.
Or, si la Turquie entend agir localement, il n’en demeure pas moins qu’elle aurait des visées régionales:
«La Turquie a une position active dans toute la région. On le voit avec une influence croissante dans le Caucase, en Afrique du Nord, également au Liban. Vis-à-vis de la Palestine, Erdogan a toujours été proche des Frères musulmans* du Hamas. Il n’hésite pas à apporter un soutien financier ou humanitaire», souligne Alain Gresh.
«La visite en Turquie est surtout symbolique. L’influence turque auprès de l’autorité palestinienne reste limitée. Mais aujourd’hui si Mahmoud Abbas se maintient, c’est que sa politique de répression fait les beaux jours d’Israël. Les États-Unis et l’Europe ont financé les organes de sécurité palestiniens qui répriment les manifestations. Donc, au-delà de timides critiques, l’Union européenne ne bougera pas et la communauté internationale est attachée au statu quo», conclut-il.
À 85 ans, Mahmoud Abbas ne semble pas prêt à quitter le pouvoir.
*Organisation terroriste interdite en Russie